Rencontre d’Afilog avec Olga Givernet, ancienne ministre de l’Énergie et députée de l’Ain
Le 4 mars dernier, Olga Givernet, ancienne ministre de l’Énergie et députée de l’Ain, est venue à la rencontre des acteurs de l’immobilier logistique et industriel, lors d’un petit-déjeuner organisé par Afilog. Lors d’échanges passionnants avec Ludovic Bernini, d’AEW et Claude Samson, président d’Afilog, elle a pu donner son point de vue de politique sur des sujets fondamentaux pour la profession.
Claude Samson : Notre secteur est confronté à de plus en plus de normes restrictives. Nous avons également une problématique concernant l'accès au foncier et l’acceptabilité de nos activités dans les territoires. Les taxes sont aussi un sujet de préoccupation. Enfin, ce qui ne concerne pas seulement l’immobilier logistique, est la nécessaire simplification des normes et réglementations auxquelles nous sommes soumis.
Olga Givernet : Merci à vous pour cette invitation, à venir échanger avec les professionnels du secteur de l’immobilier logistique. Cela nous permet d’aborder les sujets déterminants pour l’avenir de notre économie : les perspectives politiques de la France, la transition énergétique, et le rôle-clé de la logistique dans ces transformations. Discuter avec les acteurs de terrain, les chefs d’entreprise, c’est souvent le seul moyen d’élaborer des politiques publiques de qualité en prise avec la réalité. Adapter nos infrastructures, renforcer nos capacités tout en restant fidèles à nos objectifs environnementaux ambitieux : autant de défis à relever ensemble.
Quelles sont les relations entre élus et acteurs de la logistique ?
OG : En tant qu’élus, la question des entrepôts nous revient souvent pour la recherche d’un terrain, on essaie alors de comprendre les besoins en termes de raccordement aux infrastructures, en termes de besoins énergétiques également… Mais je pense que nous le faisons aussi avec quelques préjugés notamment sur la place que cela prend, les camions qui entrent et sortent sans que l’on sache vraiment ce qu’il s’y passe, le peu d’emplois...
Ludovic Bernini : On croise peu les élus, ou du moins pas assez sur nos sites logistiques. En revanche, on les voit souvent, notamment au sein d’Afilog, au moment des phases d’instruction de nos projets. On essaye à ce moment de faire preuve de beaucoup de pédagogie. Selon les régions, nos activités sont en effet souvent uniquement associées au e-commerce et en particulier à un de ses grands acteurs, alors que la logistique, ce n’est pas que cela et c’est surtout beaucoup d’autres choses. La logistique, par exemple, est essentielle à l’industrie. J’ai récemment lu dans Plateformes Magazine l’interview de Jacques Rolland, premier adjoint à la mairie de Saint-Vulbas, dans l’Ain, qui dit aujourd’hui préférer l’industrie à la logistique. On le comprend, mais c’est un choc. Les élus, même ceux qui connaissent bien nos activités, ont aujourd’hui une image négative.
OG : Dans la tête des gens, un entrepôt est une grosse boîte qu'on voit un peu de loin, avec cette idée que peut-être ça n'apporte pas beaucoup d’emplois directs, par rapport à l’emprise foncière, alors même que c’est un maillon essentiel à notre réindustrialisation. Et donc, la question, c'est comment on peut nous aider à comprendre pourquoi la logistique est importante, comment elle prévoit d'évoluer également en fonction des contraintes et des enjeux actuels.
LB : D'ailleurs, changer ce regard sur la logistique, c'est peut-être l'enjeu numéro un pour une association comme Afilog aujourd'hui. Faire comprendre qu'il y a des emplois, qu’il y a des démarches menées pour la qualité paysagère, pour réduire l’empreinte carbone... Nous ne cessons pourtant d’expliquer qu'on a besoin de la logistique pour notre industrie pharmaceutique, pour nos hôpitaux, pour l'alimentation des personnes...
Il y a une vingtaine d'années, quand nous instruisions un dossier logistique, une fois que le préfet et le maire étaient convaincus, il n’y avait plus de problème. Aujourd'hui, les préfets sont beaucoup plus craintifs de leurs propres services instructeurs qui parfois ne suivent même pas l'opinion du préfet. Ils sont craintifs également de certaines associations environnementales. Or, si on ne peut pas construire là où c’est le plus approprié, c’est la triple peine : plus de camions sur les routes et donc de pollution, une perte de compétitivité industrielle, et moins d’emplois créés sur notre territoire. Il faut également rappeler que le nombre de mètres carrés par habitant dédié à la logistique et un des plus faibles d’Europe. Aux Pays-Bas, c’est quatre fois plus. La logistique, qui représente 10 % du PIB en France, est indispensable à l'économie française.
CS : J’ajoute que les efforts faits par la profession pour décarboner la construction et l’usage des bâtiments logistiques ne servent à rien si on place l’entrepôt à 50 km de là où il devrait être.
OG : Un élu a en effet tendance à voir les camions supplémentaires qui vont circuler dans sa commune s’il accepte l’installation d’un nouvel entrepôt. Il est nécessaire qu’il apprenne à faire le lien entre la logistique et le quotidien de ses administrés : les colis qu’ils reçoivent chaque jour, les activités industrielles que cela permet… Je pense donc qu’il faut plus de transparence, que l’on sache ce qui se passe dans ces entrepôts et en tant qu’élus, nous devons trouver le juste milieu entre les attentes des habitants et ce qui est nécessaire au territoire.
CS : Je rappelle par ailleurs que le secteur de la logistique est un secteur où l’ascenseur social fonctionne encore, avec des personnes qui peuvent commencer comme préparateurs de commandes pour devenir directeurs de sites quelques années plus tard.
Est-ce que la transition énergétique est un frein ou une opportunité pour la filière ?
OG : La transition énergétique doit être poursuivie. On mène depuis de nombreux mois maintenant une politique de l'offre pour produire une énergie décarbonée, et essayer de se défaire de tout ce qui est énergie fossile. L'intérêt de la transition énergétique, c'est aussi de réduire la facture des Français et des entreprises. La question énergétique est aujourd’hui décentralisée, et on peut désormais réfléchir à l’échelle d’un parc d’activités ou d’une organisation communale, notamment pour ce qui concerne l’autoconsommation et l’intégration paysagère. Mais il ne s’agit pas seulement de satisfaire des consommateurs, il est aussi essentiel de voir le secteur de l’énergie comme un secteur économique à part entière. Nous attendons beaucoup de la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) pour donner une planification avec des trajectoires, en cohérence avec ce qu’on est capables de faire. Ce sont des questions de long terme, parfois difficiles à mener quand on est en période de crise comme aujourd’hui.
LB : La transition énergétique est certes une contrainte, mais elle est surtout réglementaire. En accord avec la volonté de décarboner notre économie, nous nous méfions aussi des fausses bonnes idées, qui peuvent parfois venir des parlementaires... Le sujet du photovoltaïque en est un bon exemple. Les acteurs de l’immobilier logistique s’engagent à aller au-delà de ce que la loi exige avec l’installation de panneaux sur plus de 50 % du parc logistique neuf, avec certaines entreprises qui ont 100 % de leurs toitures recouvertes. Mais lorsqu’on nous impose de faire la même chose sur des bâtiments existants, cela n’est pas possible ! Ils n’ont pas la capacité physique de recevoir ces panneaux extrêmement lourds, ils n’ont pas l’étanchéité nécessaire, et les isolants ne supporteront pas non plus cette compression supplémentaire.
De plus, si on mène une analyse du cycle de vie sur ces matériaux, pour la plupart fabriqués en Chine, le bilan n’est pas très positif. Enfin, le retour sur investissement de telles installations est de l’ordre de 2 à 4 %, ce qui est insuffisant pour motiver les investisseurs par rapport à d’autres placements.
OG : Pour ces sujets, je vous invite à trouver votre propre intérêt au-delà de la réglementation, qui, elle, peut changer. Aller vers l’autoconsommation semble en cela être une bonne solution.
Est-ce que ce ZAN va être maintenu ? Est-ce qu'on peut envisager qu'il soit encore amendé ?
OG : Tout le monde s'en plaint, mais pour l'instant, je n'ai aucun cas de conflit sur mon territoire. Aucun. Alors, je ne sais pas si c'est parce qu'on n'a pas encore été confronté au problème, ou si c'est parce que les porteurs de projet ont déjà tellement intégré la contrainte qu'ils n’essaient même plus.
LB : Je peux confirmer que c’est bien la deuxième réponse : beaucoup de gens abandonnent. Et quand vous parlez à des maires aujourd'hui et à des élus, ils vous disent « je vais être en compétition d'usage sur ma réserve de 1% de la loi ZAN entre le résidentiel, la logistique, le commerce. Je ne vais donc pas mettre la logistique dans mon PLU ». Au sud de Paris, c'est même le préfet qui nous a dit, alors que le terrain était pastillé comme urbanisable, destiné et fléché pour la logistique, « le ZAN arrive, c'est mort », alors même qu’on n’avait pas encore le schéma ZAN de l'Ile-de-France. Il y a beaucoup d’autres exemples comme celui-ci, avec des entreprises qui finissent par installer leur entrepôt au Portugal ou ailleurs en Europe. C’est aussi une perte pour les collectivités qui ne percevront pas par conséquent les taxes qu’auraient payées ces entreprises. La loi ZAN risque donc d’être, aussi, un problème pour le budget des communes.
Par ailleurs, la réhabilitation des friches, qui est une réponse au ZAN, n’est pas facilitée puisque nous avons exactement les mêmes contraintes que pour des terres agricoles : taxe d’aménagement, les mêmes études faune-flore, zone humide, etc. Sur ce dernier point justement, voilà un autre sujet de préoccupation pour la profession : la commission européenne à demander à tous les Etats de faire remonter une cartographie de leurs zones humides, sur lesquelles il est interdit d’artificialiser sans une autorisation particulière. Selon les premières estimations, la France déclare 27 % de son territoire en zones humides, quand nos voisins européens en répertorient entre 1 et 3 %. Là encore, on se tire une balle dans le pied… C’est un projet de loi parlementaire, mais il faudrait donc bien revoir la définition que nous donnons à ces zones humides. J’en profite pour rappeler que le ZAN n’existe qu’en France...
OG : Une vraie réflexion sur ce qu’est la logistique est nécessaire. Le faire en prenant en compte les modes de transport, les modes de consommation, les besoins industriels… Cela nous donnera des perspectives. Et je comprends aussi que les entreprises du secteur ont besoin de plus de clarté et de constance dans les décisions prises qui les impactent directement.