Économie

La logistique à voile en vogue

17 janv. 2025
Lecture : 6 minutes

Ces dernières années, au moins 5 jeunes pousses de la marine marchande ont été créées avec le même objectif : décarbonner le secteur grâce à la force de propulsion du vent. Le marché semble prometteur si l’on en croit le nombre de ces nouvelles compagnies, le nombre de chargeurs ayant déjà signé avec elles et le soutien financier accordé notamment par la Banque des territoires sur certains projets.

Cover Voileen Vogue
Zéphyr & Borée, Vela, Towt, Neoline, Grain de Sail… toutes ces jeunes pousses de la marine marchande ont fait le choix de la voile pour décarbonner un secteur, qui sera, si on ne fait rien, responsable de 17 % des émissions polluantes d’ici 2050. Copyright : Zéphyr & Borée, Vela, Towt, Neoline, Grain de Sail

Le transport de marchandises par voie maritime est l’un des plus grands émetteurs de CO2. Il représente en effet 16 % des émissions du fret, mais 70 % des tonnes-kilomètres transportés. Le carburant jusqu’alors utilisé est un résidu visqueux du pétrole, non raffiné, lourd et difficile à brûler, qui émet lors de sa combustion un cocktail de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique.

Dans son rapport annuel, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) souligne que si le secteur du transport maritime veut respecter ses engagements de diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES), il faudrait qu’il change ses pratiques du tout au tout, à commencer par l’énergie utilisée, notamment par les plus de 50 000 navires marchands à travers le monde. L’une des solutions que l’on peut désormais envisager, est d’y installer des voiles, pour utiliser la force du vent comme moyen de propulsion. La bonne nouvelle est que les systèmes nécessaires pour utiliser la force éolienne, « peuvent être mis en place sur tous les types de navires marchands », se réjouit Amaury Bolvin, co-fondateur et directeur général de Zéphyr et Borée, compagnie maritime spécialisée dans l’armement de navires bas carbone et pionnière du transport maritime à la voile.

Le transport de marchandises par voie maritime représente 90% du commerce mondial en volume et 80% en valeur et devrait poursuivre son essor dans les années qui viennent. En 2023, le transport maritime de marchandises transitant par les ports français s’établissait à 326 millions de tonnes échangées. Décarbonner ce mode de transport aura donc un impact non négligeable sur l’empreinte carbone des activités de commerce, en France comme ailleurs.

Décarbonner le fret maritime

« Selon nos différentes simulations, des bateaux hybrides comme ceux que nous faisons construire, équipés de voiles mais aussi d’un moteur, permettent une réduction de la consommation de carburant de 20 à 60 % », affirme Amaury Bolvin. À sa création en 2017, Zéphyr et Borée a en effet misé sur une solution combinant une motorisation classique au diesel et un système de propulsion utilisant la force du vent. « Nous nous sommes pour cela fait accompagner de VPLP, agence d’architecture navale, de sa filiale Ayro, fabricant de voiles pour la marine marchande et de D-Ice Engineering, éditeur d’un système de routage permettant d’optimiser les parcours du navire pour exploiter au mieux les vents et garantir une heure d’arrivée au port ». En octobre 2023, est ainsi né le navire « Canopée », résultant d’un appel d’offre lancé par Ariane Group en 2020 et remporté par Zéphyr et Borée en 2022. « Ils cherchaient une solution de transport pour la fusée Ariane 6, depuis Brème en Allemagne, avec des escales à Rotterdam aux Pays-Bas, au Havre et à Bordeaux, avant d’arriver à Kourou, en Guyane ». Le navire est équipé de quatre ailes verticales, qui, combinées à un moteur, permet de diminuer l’impact carbone de 15 à 40 %, selon les conditions météorologiques. Neuf à douze voyages par an sont prévus.

D’autres projets voient progressivement le jour

Suite à ce premier succès, deux autres projets ont vu le jour : « WinCoop », d’une capacité de 150 EVP ou conteneurs, qui assurera des traversées entre Marseille et trois ports de Madagascar tous les 60 jours à partir de 2027, et qui sera géré par une coopérative d’une vingtaine de chargeurs ; et « Williwaw », d’une capacité de 1 200 EVP, résultant d’un appel d’offre lancé par une coalition de vingt chargeurs, pour une traversée entre l’Europe et les Etats-Unis, en passant par Anvers, Le Havre, Philadelphie et Charleston. « Pour ce projet, 3 bâtiments seront construits d’ici fin 2027, avec un départ prévu tous les 10 jours ». Sur ces deux projets de navires hybrides, la propulsion des navires sera principalement assurée à la voile avec une assistance moteur. En 2029, 8 navires de Zéphyr et Borée, dont un pour le hors gabarit (pour le transport d’Ariane 6) devraient ainsi sillonner les mers.

Différents modèles

Zéphyr et Borée n’est pas la seule à s’être lancée sur ce marché. D’autres, comme Towt, Grain de Sail, Vela ou encore Neoline ont identifié le même potentiel. Towt (TransOceanic Wind Transport), créée en 2011, a fait naviguer jusqu’à aujourd’hui 19 voiliers sur 5 routes maritimes, pour le transport de marchandises à forte valeur ajoutée comme le cacao, le rhum, le thé, le café… Ces bateaux sont de vieux gréements, réaménagés pour être plus rapides. Un voilier cargo, de plus grande capacité (l’équivalent d’environ 70 EVP), a depuis été mis à flot et 6 autres devraient bientôt voir le jour. Vela, société créée en 2022, qui a également fait le choix d’un transport 100 % à voile, vient quant à elle de lever 40 millions d’euros (dont 75 % sous la forme de prêts bancaires) pour la construction de son premier trimaran, d’une capacité de 600 palettes (soit l’équivalent d’environ 52 EVP), qui fera sa première traversée vers les États-Unis d’ici 2026. « Notre trimaran se destine au transport de marchandises à forte valeur ajoutée, dans les domaines de la cosmétique, de la santé, des vins et spiritueux…, détaille Pierre-Arnaud Vallon, l’un des cinq fondateurs de Vela. Nous visons les mêmes services que l’aérien sur la fiabilité, les délais et la sécurité ».

Les navires de Vela seront ainsi équipés d’au moins 300 m² de panneaux photovoltaïques et de deux hydrogénérateurs pour fournir toute l’énergie nécessaire notamment aux cales réfrigérées qui permettront de garantir la continuité de la chaîne du froid lors des traversées. « En 2050, le maritime sera responsable de 17 % des émissions polluantes, commente Pierre-Arnaud Vallon. Il est donc urgent de réfléchir non seulement à l’énergie utilisée pour faire avancer ces bateaux mais aussi à aborder le sujet sous l’angle de l’analyse du cycle de vie (ACV). Nos navires ont été pensés pour durer le plus longtemps possible, au-delà des 25 ans que l’on attribue généralement aux porte-conteneurs « classiques ». Nous réfléchissons aussi à leur recyclabilité, pour un impact carbone global le plus réduit possible ».

Un secteur plein de promesses

Ces projets ont reçu différents soutiens, dont, pour la plupart, celui de la Banque des Territoires, une des directions de la Caisse des Dépôts et Consignations. « Nous avons déjà engagés une dizaine de millions d’euros sur trois des projets actifs à l’heure actuelle, détaille Claire Fonade, directrice d’investissement, à la direction des Transports de la Banque des territoires. Notre rôle est d’accompagner les mutations des territoires, notamment à travers le déploiement de nouvelles mobilités en phase avec une logique d’intérêt général sur deux axes : la transition écologique et la cohésion sociale ». Ce soutien financier n’est accordé qu’à des entreprises pouvant faire la preuve de leur viabilité économique : disponibilité du matériel, technologie éprouvée, avec un taux de remplissage suffisant pour garantir l’équilibre économique du projet… Pour autant, pour Claire Fonade, « l’impulsion semble donnée et les barrières à l’entrée sont en train de tomber ».

À lire aussi