La recette logistique de la farine

20 févr. 2025
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Le processus date de milliers d’années : utiliser des céréales pour en faire de la farine qui servira de base à de nombreux aliments, dont le pain – produit du quotidien par excellence - est le plus connu et symbole de survie, du moins en Europe. La maîtrise de ce savoir-faire ancestral est depuis longtemps maintenant le fait des meuneries, qui s’approvisionnent auprès des agriculteurs, transforment, et livrent les boulangers. Témoignage.

Tourte De Meule Coupee Web

Pain d’abord mais aussi gâteaux, viennoiseries, crêpes, biscuits, pâtes… la farine est l’ingrédient principal de nombreux aliments de base dans la plupart des cultures et depuis de nombreuses années. En 2018, des archéologues ont découvert des traces de pain, et donc de farine, sur un site jordanien datant de 14 400 ans, soit bien avant que l’agriculture n’existe. Aujourd’hui, en France, ce sont 430 moulins et 350 entreprises, de taille différente, qui s’occupent d’« écraser » chaque année 5 millions de tonnes de céréales, le plus souvent du blé tendre, mais aussi de l’épeautre, du seigle, du maïs..., pour les transformer en 4 millions de tonnes de farine. Le secteur de la meunerie française se place au 2e rang européen - après l’Allemagne et devant l’Italie - et au 10e rang mondial. « Les principaux marchés adressés sont les boulangeries artisanales, la grande distribution pour une fabrication sur place et pour la vente en sachets aux particuliers, l’industrie agroalimentaire pour la fabrication de produits à base de farine (biscuit, biscottes, pains indusrtiels,….), les chaînes de boulangeries, et l’exportation, explique Julien Bourgeois, co-dirigeant avec son frère, David, des Moulins Bourgeois et responsable de la commission transport au sein de l’ANMF (Association nationale des meuneries françaises). Notre meunerie, située à Verdelot, en Seine-et-Marne, travaille exclusivement avec les artisans boulangers et nous exportons également 20 % de nos produits à l’étranger ».

Un marché concentré

Avec ses 110 millions d’euros de chiffre d’affaires, Moulins Bourgeois, fondée il y a 130 ans par Léon Bourgeois, fait partie des 50 entreprises de taille intermédiaire du secteur représentant 20 % du volume de farine vendue chaque année. Quatre grosses entreprises constituent quant à elles les 65 % du marché, les quelque 300 entreprises restantes occupent 15 % du secteur. « Ces dernières années, le marché s’est fortement concentré, notamment du fait de la diminution progressive du nombre d’artisans boulangers, remplacés par les chaînes et la grande distribution, commente Julien Bourgeois. Chez Moulins Bourgeois, nous faisons le pari de continuer à travailler avec ces artisans, pour le lien social qu’ils permettent partout en France, notamment dans les campagnes, en occupant par ailleurs des emplois qualifiés ». Pour produire une farine de qualité, Julien Bourgeois explique fonctionner comme certains vignerons : « Nous sélectionnons différentes variétés de blé, que nous assemblons pour obtenir un goût unique, que l’on pourra retrouver d’une année sur l’autre ». Héritière de la tradition agricole française, l’activité meunière s’approvisionne, le plus souvent, en blé auprès des agriculteurs de proximité, via des collecteurs (organismes stockeurs). Tous les jours, les équipes des Moulins Bourgeois testent la qualité des céréales réceptionnés, ainsi que la farine qui en est issue, avec une panification sur site. « Nous avons trois moulins pour écraser les céréales qui viennent d’agriculteurs proches de chez nous, que nous avons sélectionnés pour la qualité de leurs blés : un à cylindre, pour les farines de type 45 à 65, destinées à la pâtisserie, la viennoiserie et les baguettes de tradition, et deux à meule, dont un dédié au bio, pour les farines de T80 à T150, pour des pains semi-complets et complets au levain ».

Une grande partie de l’activité concerne la logistique

Mais une des plus grandes parties de l’activité des Moulins Bourgeois concerne la logistique aval. Presque la moitié des 200 salariés s’occupe en effet de la livraison chez les artisans boulangers. Environ 110 000 tonnes de farines sortent de ces moulins chaque année. « Nous préparons chaque jour 400 à 500 commandes, pour livrer 2 000 artisans, dans un périmètre de 300 kilomètres autour de notre site de Verdelot». Un dépôt à Brétigny, de 2 500 m², stocke un tiers des farines, dédié aux clients du sud et de l’ouest de Paris. Avec l’un des 36 véhicules en propre, roulant tous au biocarburant B100, issu du colza, chaque équipage constitué d’un chauffeur et d’un ripper dépose environ 13 tonnes de farine chez 15 à 17 clients. « Pour les meuniers qui livrent les enseignes de la grande distribution, cela se fait par palette. Pour l’industrie, la farine est livrée en vrac, souvent par 30 tonnes, au moyen d’une monocuve, de laquelle on souffle la farine dans les silos, explique Julien Bourgeois. Pour nous, qui ne livrons que des artisans, cela se fait par sac de 25 kilos, à dos d’homme ». Ces personnes doivent donc impérativement être formées à ce type de livraison, très physique. « Nous réfléchissons aux moyens techniques pour les aider, comme les exosquelettes par exemple, mais nous n’avons pas encore trouvé la solution idéale, sachant que la journée se rythme entre livraisons successives et conduite du camion ». Depuis 25 ans, Moulins Bourgeois a donc mis en place la semaine de 4 jours pour le personnel de livraison  pour préserver leur santé.

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Une école pour faire perdurer la tradition du bon pain

Sur le site de 4 hectares de Verdelot, en plus des moulins, se trouve également une école sur 350 m², avec une dizaine de boulangers formateurs délivrant des cours bénéficiant d’une certification Qualiopi. « Nous encourageons nos clients artisans boulangers à fabriquer tout ce qu’ils vendent et à penser leurs gammes en fonction de leurs capacités de production. C’est la garantie de proposer des produits uniques, qui leur ressemblent et les distinguent de leurs confrères, explique Julien Bourgeois, également détenteur d’un CAP Boulangerie. Dans notre école, sur des sessions de quelques jours, nous abordons différents thèmes, comme le travail du pain au levain ou la viennoiserie créative ». Les frères Bourgeois accompagnent par ailleurs leurs clients dans l’installation de leur commerce : trouver le fonds de commerce, monter les dossiers pour les banques, démarrer son activité… Le bon pain est un aliment, un commerce, mais aussi un art, qu’il est parfois nécessaire de soutenir. Pour rappel, la baguette est inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2022...

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Le site de Moulins Bourgeois, à Verdelot, en Seine-et-Marne

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