Environnement

Utiliser l’hydrogène renouvelable dans les entrepôts logistiques, aujourd’hui et demain?

2 nov. 2022
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Alors que l’industrie logistique réalise sa transition environnementale à vitesse accélérée, l’hydrogène vert pourrait représenter une alternative en faveur de la transition énergétique. Au sein de l’entrepôt, le déploiement débute pour la manutention, avant peut-être d’être déployé demain sur les routes pour le transport des marchandises.

Hydrogene Logistique
©Lhyfe / Lidl

« Dans tous les entrepôts du monde, il y a déjà plusieurs dizaines de milliers de chariots élévateurs à hydrogène qui fonctionnent chaque jour ! » Christophe Dubruque, directeur développement de Lhyfe, entreprise industrielle française de production et distribution d’hydrogène renouvelable, ne cache pas son enthousiasme. Fondée en 2017, Lhyfe source son énergie directement auprès de producteurs de parcs éoliens ou photovoltaïques puis la transforme afin de la stocker en container sous forme gazeuse à haute pression, « avec à la clé zéro perte d’énergie et une capacité à livrer rapidement sur site », renchérit M. Dubruque. Et pour lui, les entrepôts logistiques représentent une cible naturelle pour utiliser l’hydrogène renouvelable, en particulier pour les chariots électriques à pile à combustible.

La logistique, secteur qui utilise le plus de véhicules à hydrogène

Les avantages de la pile à combustible sont massifs : des temps de charge courts et une autonomie importante. Lucas Toussaint, chef de produits énergie pour Jungheinrich, spécialiste de ce marché du chariot élévateur électrique, résume en une phrase : « Le véhicule est toujours disponible puisqu’il vient se recharger en quelques minutes. Fonctionnellement, ça fait rêver les clients » car les gains de productivité sont très importants, comme avec la technologie Lithium-ion. La difficulté est le coût initial de l’acquisition du matériel et des installations nécessaires (comme une station de recharge) qui sont élevés – « de l’ordre de +50 à +100 % du coût total de possession (TCO) d’un chariot » détaille M. Toussaint. Résultat : une des préconditions est de déployer une flotte importante de véhicules pour rentabiliser la station de recharge et d’assurer un taux d’utilisation maximal des chariots.

Ce matériel reste donc aujourd’hui très ciblé sur les acteurs majeurs. C’est le cas de Lidl et de son entrepôt à Carquefou, près de Nantes (44), équipé de 98 chariots intra-logistique à hydrogène de la marque Jungheinrich et d’une station de recharge alimenté par de l’hydrogène renouvelable fourni par Lhyfe. Et si le modèle économique est compliqué, il est pourtant rentable, soutient son directeur du développement.

Hydrogene Logistique 2 Clhyfe Lidl
(©Lhyfe /Lidl)

Des effets induits qui réduisent le coût de l’investissement

« Oui, le retour sur investissement est validé sur cette opération malgré le surcoût de l’installation de l’infrastructure et l’acquisition des chariots », affirme donc Christophe Dubruque. « Il est d’abord considérablement amélioré dès lors que la productivité est en hausse par rapport à la disponibilité des chariots. On constate également des bénéfices indirects, comme par exemple la place libérée d’une salle de charge dans le bâtiment logistique, qu’on peut récupérer et maximiser. »

Parmi les autres éléments qui militent pour le choix du véhicule à hydrogène figurent la durée de vie du matériel supérieure à celle des véhicules à batterie, notamment au plomb, une meilleure recyclabilité du matériel et une empreinte écologique globalement meilleure - à condition que l’hydrogène soit d’origine renouvelable, sans quoi le saut technologique perd tout son sens. Enfin, en termes d’organisation du travail, un parc de véhicules 100 % disponible simplifie l’établissement du plan de charge des opérateurs. Alors demain, tous en véhicule à hydrogène ?

Des barrières à lever pour massifier l’usage

Pas si simple, tempère Lucas Toussaint : « Pour la manutention, les chariots à batteries lithium-ion constitueront certainement toujours la très grande majorité du marché dans les années à venir et les véhicules à hydrogène ne devraient pas dépasser 5%. Il est évidemment nécessaire de parvenir à diminuer les coûts afférents à cette technologie : la station de recharge, les systèmes hydrogène et l’hydrogène en lui-même. Il faut s’assurer de son origine renouvelable pour assurer un mieux-disant significatif sur le plan environnemental. Mais sur le marché du chariot élévateur, le système à batterie restera compétitif et plus durable si l’on parle de la technologie lithium-ion. »

En revanche, la batterie lithium-ion ne peut être envisagée pour le transport de marchandises : « C’est très compliqué d’électrifier un camion aujourd’hui car on réduit drastiquement la charge utile du camion pour entreposer les batteries et on souffre de temps de charge extrêmement longs, tout cela pour un prix unitaire du véhicule très élevé… Dans ce cadre, il y a des chances que l’hydrogène se taille une part conséquente du marché du transport de marchandises sur route à l’avenir. »

Et Christophe Dubruque de conclure : « L’application chariot est le premier pas de l’hydrogène dans l’exploitation de véhicules sur la route. L’entrepôt doit être considéré comme un écosystème local logistique, avec des tracteurs de cour et demain les véhicules utilitaires légers (VUL) ou les camions qui seront équipés de piles à combustible ou de moteurs à combustion d’hydrogène. » La diffusion de l’hydrogène vert dans la logistique n’en est qu’à ses débuts.


DB Schenker : “Développer l’écosystème hydrogène pour favoriser son adoption”

« Nous visons la neutralité carbone à l’horizon 2040 et l'hydrogène fait partie des solutions. » Tariel Chamerois, directeur RSE France et Maghreb du spécialiste du transport logistique DB Schenker*, se montre optimiste quant à l’avenir de l’hydrogène pour l’industrie. Et de préciser les conditions d’émergence d’une filière d’excellence du transport hydrogène : « Il est nécessaire de constituer un écosystème hydrogène autour d’un véhicule - aujourd’hui via un retrofitteur (ndlr : une entreprise capable de transformer des véhicules généralement thermique vers des véhicules à basses émissions de carbone et de particules), un énergéticien en capacité de fournir un hydrogène vert ou décarboné, des clients prêts à assumer un écart de prix dans les premières années, un partenaire pour la maintenance du véhicule… Mais nous avons aussi besoin des pouvoirs publics pour des aides au financement et la définition du cadre réglementaire. »

Parmi les initiatives en cours, DB Schenker est lauréat d’un appel à projets de l’ADEME. Avec son client (chargeur) L’Oréal, l’énergéticien Engie et la start-up Eneo pour le rétrofit, le consortium va être en capacité d’opérer à terme dix camions pour une rotation au départ d’une usine L’Oréal dans le sud de Paris vers un dépôt dans le nord de la France. Pour les trajets de retour, les camions seront chargés avec des volumes de DB Schenker. Les premiers camions devraient rouler sur les routes d’ici le milieu d’année 2023. « L’enjeu est financier car chaque véhicule coûte environ 500 000€. Nous partageons les frais du surcoût avec L’Oréal, justement pour tester cet écosystème. C’est un travail de fourmi mais extraordinaire pour le futur du transport logistique. »Un futur où un entrepôt logistique pourrait tenir un rôle de fournisseur d’énergie, via l’équipement des toitures et parkings en panneaux photovoltaïques pour l’autoconsommation et du stockage d’hydrogène.

* DB Schenker compte 65 000 camions en propre qui opèrent chaque jour et une activité de commissionnaire de transport, mais aussi une activité d’entreposage avec 130 bâtiments logistiques.

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