À la croisée des dynamiques de marché et des politiques publiques, l’implantation des entrepôts ne doit rien au hasard
Répondant à des préoccupations économiques, de qualité de service et environnementales, l’implantation des entrepôts résulte d’une approche réfléchie des entreprises et des professionnels de l’immobilier logistique en lien étroit avec les politiques publiques. Explications avec Aurélien Rouquet, professeur de logistique à Neoma Business School et secrétaire général de l’Association internationale de recherche en logistique et Supply Chain Management (AIRL-SCM).
Comment sont déterminées les implantations des entrepôts ?
Aurélien Rouquet : Les stratégies des acteurs économiques amènent à la structuration de chaines logistiques globales. Résultat : le maillage des entrepôts est déterminé en fonction du coût du transport des marchandises en amont et en aval des lieux de stockage, mais aussi du coût du stockage. Deuxième observation, des zones plus attractives que d’autres existent pour accueillir les entrepôts. Ce sont les points d’entrées sur le territoire français, comme les terminaux portuaires par exemple, mais aussi les grands bassins de consommation situés entre Lille, Paris, Lyon et Marseille.
Quels sont les autres critères ?
Aurélien Rouquet : Il y a l’aspect financier qui amène les entrepôts à être implantés en périphérie des centres urbains en raison de la valeur du foncier. Autre sujet qui doit faire l’objet d’un arbitrage budgétaire dans le cadre du schéma directeur logistique de chaque entreprise : le nombre d’entrepôts. Plus le maillage est dense, plus la qualité de services est élevée et le coût important. La qualité des infrastructures est également un critère important, à commencer par celle des routes et ensuite, si un embranchement est possible, celle des réseaux ferrés et/ou des voies d’eau. Les décideurs analysent également le bassin d’emploi avant d’acter une implantation d’entrepôt afin de s’assurer de pouvoir recruter des collaborateurs ayant les compétences nécessaires à son fonctionnement. Et il y a encore une multitude d’autres critères. Des cabinets de conseils aident les entreprises à analyser toutes ces variables pour prendre les meilleures décisions.
Dans quelle mesure la dimension environnementale entre en compte dans les réflexions des professionnels sur les implantations géographiques ?
Aurélien Rouquet : Un entrepôt est un point de centralisation et de mutualisation des flux, il optimise des flux déjà existant et permet donc par nature de diminuer l’empreinte carbone du transport de marchandises. Les critères environnementaux entrent de plus en plus en compte dans les réflexions sur les futures implantations d’entrepôts même s’il y a encore des marges de progression. Des efforts importants ont été réalisés sur l’approvisionnement en énergie des entrepôts, reste maintenant à réduire l’artificialisation des sols. Les professionnels déploient déjà des initiatives en la matière mais l’État et les collectivités doivent mettre en place une politique nationale d’implantation des entrepôts pour accélérer le mouvement.
Comment l’approche des acteurs économiques sur l’implantation des entrepôts a-t-elle évolué au cours des dernières années ?
Aurélien Rouquet : Plusieurs types d’entrepôts existent : d’un côté, vous trouvez les grands bâtiments centraux avec un rayonnement national qui centralisent les flux des fournisseurs ou des usines pour dispatcher les marchandises dans différentes zones, et de l’autre des ensembles plus petits en zone urbaine. Au cours des dernières années, la structuration des chaînes logistiques des acteurs économiques a évolué avec l’ajout de la brique entreposage en ville afin de mutualiser les flux au sein des aires denses. Cette tendance va s’accentuer car elle est bénéfique sur les plans économique, de la qualité de service et environnemental : de plus en plus de marchandises seront distribuées dans les villes, les espaces logistiques urbains permettront de les centraliser et de les dispatcher efficacement, les livraisons du dernier kilomètre seront assurées avec des modes doux comme les véhicules électriques ou les vélos cargos.
Vous avez publié une tribune en début d’année dans les colonnes du Monde intitulée « Les Etats les plus en pointe sur le plan industriel concilient une stratégie industrielle et logistique forte ». Quelles sont les implications en matière d’implantation des entrepôts ?
Aurélien Rouquet : Les entrepôts sont perçus par beaucoup de nos concitoyens comme des bâtiments à faible valeur ajoutée dont nous n’aurions pas besoin, ce qui est totalement faux ! Ils embarquent de plus en plus de technologie, certains n’ont même rien à envier aux usines les plus modernes à l’image de celui du bâtiment Leclerc à Châlons-en-Champagne, et des activités productives comme l’assemblage y sont réalisées. Par ailleurs, ils sont indispensables à la réussite d’une stratégie de réindustrialisation car les matières premières et les produits transformés doivent être transportés pour permettre aux usines de fonctionner ! Dans un monde de plus en plus fluide, les entrepôts constituent ainsi un facteur d’attractivité des territoires crucial. L’État français en a pris conscience depuis quelques années et cherche à structurer sa démarche comme le prouve l’instauration des comités interministériels de la logistique, l’organisation de conférences régionales de la logistique, la signature de la charte des engagements réciproques État-Afilog pour la performance environnementale et économique de l’immobilier logistique… Mais la puissance publique doit approfondir ce travail et l’accélérer car des pays comme l’Allemagne et la Chine sont en avance et plus intégrés que la France en matière de compétitivité logistique.
Comment devrait évoluer le maillage des entrepôts français dans les années à venir selon vous ?
Aurélien Rouquet : Davantage de zones d’entreposage devront émerger dans les villes, ce qui constitue un sacré défi car peu de collectivités (et de citoyens) sont prêts à vraiment franchir le pas aujourd’hui. Un meilleur dialogue entre collectivités locales, urbanistes, architectes et professionnels de l’immobilier logistique permettra de lever les freins. L’intérêt stratégique s’imposera ainsi à tous.