La géothermie, énergie pour décarboner la logistique ?
Depuis quelques années, la question de la géothermie se fait de plus en plus présente dans les appels d’offre. La volonté de décarboner son activité et de réduire la facture énergétique sont les principaux arguments avancés par les acteurs de l’immobilier logistique. Mais la pertinence du projet est à observer de près, notamment du fait de son coût et de sa dépendance au soutien public.
Prologis et son client Monoprix à Moissy-Crayamayel (77) l’ont adoptée, BEG Ingénierie et son client Caudalie à Gidy (45), également La Poste Immobilier avec Colissimo à Rouen (76)… La géothermie fait de plus en plus parler d’elle. Elle promet en effet une consommation et une facture énergétique réduite d’au moins de moitié par rapport au gaz, des émissions carbone proches de zéro, une moindre sensibilité aux variations du prix de l’énergie... Pourtant, malgré ces arguments, on compte finalement encore peu d’exemples de structures logistiques qui y font appels aujourd’hui en France.
Le principe de cette source d’énergie renouvelable est plutôt simple : on creuse le sol pour utiliser la chaleur naturellement présente au centre de la Terre, dans les solides comme dans les liquides, pour du chauffage ou pour la transformer en électricité. Nul besoin toutefois de descendre jusqu’au noyau pour trouver les calories recherchées ! « Quelques centaines de mètres suffisent. Deux techniques sont principalement utilisées : la géothermie profonde, utilisée par les grands ensembles pour alimenter tout un réseau et celle, plus courante, dite de « minime importance » (GMI) », explique Philippe Joron, chef de marché logistique et distribution chez Accenta, dimensionne, installe et optimise au travers de son pilotage par IA des installations géothermiques. « En France, la géothermie de minime importance – ou GMI – est utilisée dans la grande majorité des projets, car disponible sur 98% du territoire. Elle présente l’avantage d’une procédure administrative très simplifiée : une simple télédéclaration en ligne suffit pour obtenir l’autorisation de forage. Elle doit respecter certains critères, en plus d’avoir confirmé sa faisabilité auprès du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), détaille Philippe Joron, notamment, être dans une zone où le forage est autorisé, ne pas forer au-delà de 200 mètres de profondeur et ne pas extraire du sous-sol une puissance supérieure à 500 kW (selon le code minier)».
Pourquoi adopter la géothermie ?
L’investissement nécessaire pour sa mise en œuvre, principalement due au forage à effectuer sur le terrain, peut toutefois en freiner plus d’un : en moyenne, ce type de projet représente un surcoût qui doit trouver contrepartie en répondant aux enjeux du propriétaire et du locataire. La motivation des propriétaires lors de la mise en œuvre d’une installation géothermique, repose principalement sur la mise sur le marché locatif d’un actif attractif et valorisé car très décarboné répondant aux critères extra-financiers RSE de l’entreprise, et accusant des charges d’exploitation très faible, explique Philippe Joron. Côté locataire celui-ci bénéficiera durant toute la durée du bail de charges d’exploitation minimes, d’une exposition à la variation des prix de l’énergie réduite et d’équipements robustes nécessitant que très peu de maintenance ».

Un contrat de garantie de performance énergétique
L’argument a du moins été une aide à la décision pour La Poste Immobilier, pour ce qui a concerné l’installation d’une solution géothermique sur sa plate-forme colis de Rouen, louée à Colissimo. Sur ce site de 19 000m2, dédié au traitement et à l’expédition de petits colis nationaux ainsi qu’à la logistique du dernier kilomètre au niveau local, la température de la halle de préparation de commande est maintenue à 16°c au minimum.
Deux arguments développés par Accenta ont fait mouche pour la foncière immobilière du groupe La Poste, qui ont co-investit avec P3 Logistic Parks : la garantie par contrat de performance énergétique apportée par l’entreprise, garantissant la pertinence de l’installation tout au long de son usage et diminution drastique de leurs charges d’exploitation. « Au moment de l’appel d’offre, en 2019, qui allait aboutir à un accord tripartite avec P3 Logistic Parks et Haropa, propriétaire de la friche où nous nous installions, le standard était encore à la chaudière gaz, rappellent Antoine Cheneau directeur de projet, à la direction des projets de La Poste Immobilier et David Gateau, responsable de projet pour la plateforme de Rouen. Quelques mois plus tard, la guerre en Ukraine a provoqué une hausse très importante des prix du gaz. Nous réfléchissions déjà alors à des énergies alternatives, mais la proposition de P3 Logistic Parks avancée avec Accenta, nous a décidés ». Après une étude de potentiel et la confirmation que le terrain est éligible, il a été démontré que la géothermie était pertinente dans le cas de cette installation. « Nous avions quelques réserves au début du fait de mauvaises expériences passées où la géothermie n’avait as tenu ses promesses en termes de production, se souvient Antoine Cheneau. Mais le contrat de garantie de performance énergétique proposée par Accenta et les évolutions technologiques ont fini de nous convaincre ».
Une subvention de l’Ademe à hauteur d’un tiers du projet
Par ce choix, non seulement La Poste Immobilier s’affranchit du marché du gaz, mais l’installation de panneaux photovoltaïques en toiture est venue compléter l’installation, pour produire l’électricité « verte » nécessaire au fonctionnement des pompes à chaleur eau-eau mises en place avec la géothermie. « Avec la subvention accordée par l’Ademe pour un tiers du projet, sans lequel il aurait été compliqué de mener à bien le projet, on a chiffré un retour sur investissement de l’ordre de 8 ans, assure Nicolas Camus, directeur construction de P3 Logistic Parks. Après un an d’utilisation, nous constatons une baisse de 74 % de la consommation énergétique par rapport à une chaudière gaz et 45 % par rapport à une PAC air-eau seule. Nous enregistrons aussi une baisse de 93 % des émissions de CO2 ».

Des points de vigilance à observer
Mais tous reconnaissent que la géothermie est un investissement sur le long terme, et n’est pertinente que dans certaines conditions. « Tout d’abord, la géothermie ne se décrète pas, prévient Bertrand Chabanne, président de BEG Ingénierie, qui dispose par ailleurs d’un bureau d’études internalisé travaillant notamment sur les questions de géothermie. L’étude de la faisabilité technique est évidemment un prérequis ». Par ailleurs, selon Didier Rossi, chef de service Fluides au sein de BEG, « la température minimale à atteindre sur la plateforme est une donnée essentielle : en dessous de 15°c, la géothermie n’est plus pertinente car le retour sur investissement devient beaucoup trop long. Pour résumer, plus on consomme d’énergie pour son activité, plus on est gagnant avec la géothermie. C’est la raison pour laquelle nous avons pu la mettre en œuvre chez notre client Caudalie, qui avait des espaces industriels et des bureaux à traiter, en chaud comme en froid ». Il rappelle également qu’une installation en géothermie doit être dimensionnée en fonction d’une moyenne, d’un lissage de la consommation. « Quand les températures sont extrêmes, il faut une autre technologie pour compléter, comme une PAC, qui prend alors le relais ». Pour Bertrand Chabanne, même si les projets sont encore rares en logistique, une demande est en train d’émerger, « une curiosité pour la géothermie se ressent notamment dans les appels d’offre que nous recevons. La géothermie fait désormais partie du champs des possibles ».