Au Brésil, la logistique entre résilience et transformation
Lors de sa visite à la SITL 2022, Pedro Moreira, président d’Abralog, a dressé un état des lieux du secteur logistique brésilien au sortir à la pandémie de Covid-19 et dans un contexte international tendu. L’occasion d’évoquer les synergies avec ses homologues français d’Afilog, mais aussi la situation mondiale, et bien sûr la question des panneaux photovoltaïques sur les entrepôts.
Quelle est la part de la logistique dans l’économie brésilienne ?
Pedro Moreira : La logistique représente environ 12,5% du PIB brésilien, ce qui est une proportion satisfaisante quand l’on sait qu’elle se situe autour de 10% en Europe et de 8% aux États-Unis. Mais ce chiffre s’explique aussi par nos lacunes et les dépenses qu’elles engendrent, comme par exemple un réseau de transport déséquilibré : 61,1% de notre activité fonctionne grâce aux autoroutes, suivies par les chemins de fer (20,7%), les voies navigables (13,6 %), et enfin les pipelines (4,2%) et l’aérien (0,4%). Nous ne disposons pas d’un réseau ferroviaire bien développé, et nous utilisons encore peu le transport par voie fluviale, ou le long de notre vaste littoral. La pratique de la multimodalité est encore lointaine. Tous ces éléments occasionnent des temps de transit et des stocks plus importants, ce qui créé des goulots d’étranglement, et fait augmenter les coûts logistiques.
Pendant de nombreuses années, les gouvernements successifs ont lancé des plans de logistique et d’infrastructures à court terme qui changeaient constamment. Mais l’ancien ministre brésilien des infrastructures, Tarcísio Gomes de Freitas, et son successeur, l’actuel ministre Marcelo Sampaio, ont vraiment changé les choses. Un vrai plan d’infrastructures, solide et pensé à long terme, a été mis en place. Depuis 2019, le Brésil a privatisé 81 actifs, dont des ports, des aéroports et des routes, générant plus de 20 milliards de dollars d’investissements. Et tout ceci s’est poursuivi malgré la pandémie, ce qui est remarquable. Mais nous devons poursuivre la bonne application de ce plan et son rythme d’exécution. Grâce à cela, le Brésil est en passe de disposer d’une infrastructure de transport bien développée et équilibrée dans les années à venir.
Comment la logistique brésilienne a-t-elle surmonté la crise du Covid-19 et quels enseignements pouvez-vous en tirer deux ans plus tard ?
Pedro Moreira : Nous avons beaucoup appris de cette pandémie, qui a eu l’effet d’un révélateur : les entreprises qui ont su s’adapter ont pu se réinventer pour être plus efficaces et surmonter la crise. Au Brésil, nous n’avons connu aucune rupture de la chaîne d’approvisionnement pendant la pandémie, ce qui est très satisfaisant car, historiquement, nous n’avions pas une culture de collaboration très développée, les entreprises étaient plutôt réticentes à l’idée d’échanger des informations. Mais la pandémie a chamboulé tout cela, et désormais les concurrents échangent beaucoup plus entre eux pour éviter une rupture globale.
La pandémie a également accéléré le passage à la numérisation. Auparavant, beaucoup d’entreprises avaient un agenda à 5 ans dans ce domaine. Maintenant, elles savent qu’elles doivent être capables d’anticiper seulement 6 ou 12 mois à l’avance, ce qui est un changement majeur. Un autre chiffre illustre également ce profond changement : avant le Covid-19, le e-commerce représentait 5% du commerce brésilien. De 2019 à 2021, ce chiffre a triplé, pour atteindre près de 15%, et les prévisions évoquent 25% pour les années à venir, ce qui est énorme.
Quelles pourraient être les conséquences de la situation actuelle en Ukraine sur la logistique brésilienne et plus globalement en Amérique latine ?
Pedro Moreira : Le scénario que nous vivons a provoqué des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. Cela ne concerne pas seulement les organisations au Brésil mais dans le monde entier. Nous constatons des retards et un rallongement des délais, un manque d’approvisionnement, un manque de visibilité, une volatilité des prix, etc. Cela incite les entreprises à se repositionner sur des chaînes d’approvisionnement plus régionales. Par conséquent, le Brésil sait désormais combien il est important de se rapprocher des autres pays d’Amérique latine, des États-Unis et de l’Europe afin d’éviter les pénuries. La Russie est par exemple le premier producteur mondial d’engrais, et l’agroalimentaire représente 35 % de notre PIB. Par conséquent, le risque d’une pénurie d’approvisionnement pour les prochains mois est bien réel. Il s’agit de conséquences mondiales qui n’épargnent pas le Brésil, et nous devons évidemment nous en préoccuper.
Combien de mètres carrés de panneaux photovoltaïques sont installés sur les entrepôts brésiliens ?
Pedro Moreira : Sur un total de 20 millions de mètres carrés d’entrepôts de classe A, moins de 10% sont équipés de panneaux photovoltaïques aujourd’hui. Bien que le Brésil soit autosuffisant en énergie, il connaît sa pire crise de l’eau depuis 90 ans, ce qui a fait augmenter le prix de l’électricité. L’électricité issue du réseau peut représenter jusqu’à 25% du coût total des entrepôts, ce qui incite les entreprises à se tourner vers d’autres alternatives comme le solaire et l’éolien, qui se développent fortement.
Il s’agit d’une part encore faible à ce jour, mais les nouveaux projets intègrent cette composante. La lenteur de la transition s’explique par le coût des panneaux et des batteries au lithium, qui ne permet pas encore de rendre le stockage d’électricité rentable. De plus, nous sommes dépendants des importations de lithium en provenance de Chine, dont la disponibilité est rare, et soumise à des droits d’importation élevés. Cependant, la capacité des batteries lithium-ion pourrait être multipliée par plus de cinq d’ici à 2030, ce qui contribuera à réduire les coûts, à améliorer le rendement du capital investi et à accélérer l’expansion de l’énergie solaire. Dans un pays comme le Brésil, qui bénéficie d’un taux d’ensoleillement très élevé, les panneaux photovoltaïques sur les toits des entrepôts offrent de grandes possibilités que nous devons être en mesure d’exploiter à moyen et long terme.
Un an et demi après le partenariat noué entre Afilog et Abralog, quels enseignements tirez-vous de cette collaboration et de ses bénéfices pour les deux associations ?
Pedro Moreira : Afilog et Abralog se connaissent depuis très longtemps, grâce à plusieurs rencontres chaque année à la SITL. Nous avons commencé à échanger plus régulièrement pendant la pandémie pour identifier comment joindre nos efforts et créer une meilleure collaboration au service de la logistique. Je pense que la France a développé de très bonnes pratiques en matière de logistique, notamment urbaine, et c’est un modèle que nous voudrions aussi adopter. Le Brésil représente un grand potentiel pour la France en termes d’investissements dans l’immobilier et la technologie, etc.
Quels sont les points communs de la logistique urbaine entre la France et le Brésil, et comment les deux pays peuvent-ils apprendre de leurs expériences respectives ?
Pedro Moreira : La France présente sans aucun doute des modèles efficaces de logistique urbaine dont nous devrions nous inspirer. Dans la région métropolitaine de Paris, nous voyons des terminaux urbains, avec des connexions ferroviaires et fluviales qui facilitent grandement les transferts, l’approvisionnement des magasins et la distribution du dernier kilomètre, ce que nous n’avons pas dans nos régions métropolitaines.
Je pense que les deux associations peuvent construire ensemble un programme commun solide, en partageant leurs connaissances et leurs pratiques afin de générer de nouvelles opportunités pour leurs membres. Nous avons déjà organisé plusieurs webinaires, dans le but de mener des études comparatives, par exemple sur les énergies renouvelables : nous pouvons évaluer les expériences, les différences, et tenir compte de ces enseignements pour mettre en œuvre des solutions adaptées. Nous allons également créer des délégations qui effectueront des visites dans les deux pays.