Environnement

Ce que le décret tertiaire change pour les entrepôts logistiques

10 oct. 2022
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Comme les bureaux et les centres commerciaux, le décret tertiaire et ses obligations s'appliquent également aux entrepôts. Mais quelques zones d’ombres pointées par les professionnels du secteur de l'immobilier logistique restent à éclaircir. Analyse et explications.

Decret Tertiaire Entrepots Cistock

« Le mot tertiaire porte bien son nom. Si ce nouveau décret ne s’applique pas aux secteurs primaire (agriculture, mines…) et secondaire (industrie, transformation..), il concerne bien tous les autres bâtiments, y compris les entrepôts. Par défaut, on peut donc dire que l'intégralité de l’immobilier logistique est concernée par ce dispositif. » Face aux interrogations de certains professionnels du secteur, ce propos introductif de Benoît Dubois-Taine - Associé et cofondateur chez Systenza - a le mérite de rappeler l’essentiel.

Issu de la loi Elan (novembre 2018), le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 - autrement baptisé « Décret tertiaire » - concerne les locataires et propriétaires de bâtiments à usage tertiaire dont la surface est supérieure ou égale à 1000 m2. Son but ? Imposer une baisse de la consommation d’énergie finale de ces surfaces de 40% d’ici 2030, 50% d’ici 2040, et 60% d’ici 2050. Un objectif à atteindre à partir d’une année de référence fixée, au plus tard, à 2010. Et qui dit obligation dit évidemment sanctions avec la mise en place d’un barème d’amendes (1 500 € pour les personnes physiques ; 7 500 € pour les personnes morales) et la diffusion d’une liste publique des mauvais élèves (la notation Eco Energie Tertiaire).

Un décret tertiaire et quelques doutes pour les entrepôts

Voilà pour la théorie. En pratique, cette nouvelle obligation a suscité de nombreuses interrogations dans le secteur de la logistique. Elles portent notamment sur le choix crucial de l’année de référence pour le bâtiment ou le parc de bâtiments à déclarer. « Évidemment, beaucoup seraient tentés de retenir une année un peu reculée. Ce qui permet de valoriser d'éventuelles actions déjà réalisées en matière d’économie d'énergie. Mais il n’est pas forcément aisé de retrouver les factures datant de plus de 10 ans pour documenter ce choix. Le risque est donc de déclarer hâtivement une année de référence pour laquelle on dispose de données, sans savoir si c’est la plus pertinente pour la suite », explique Grégory Gutierrez, avocat associé chez DS Avocats.

À cette difficulté, commune à toutes les activités, s’en ajoute une autre, plus spécifique à la logistique : les arrêtés dits « valeur absolue », qui précisent notamment certains critères de sélection de l’année de référence, sont à ce jour incomplets, ce qui ne permet pas aux acteurs de la filière de sélectionner leur année de référence en pleine connaissance de cause. Une situation qui a d’ailleurs conduit le gouvernement à quelques ajustements, après qu’Afilog, comme d’autres associations et fédérations, ait pointé cette difficulté. Le 23 septembre 2022, le ministère de la Transition écologique a en effet accordé une tolérance aux assujettis jusqu’au 31 décembre 2022 (et non plus au 30 septembre) pour déclarer leurs données de consommation d’énergie sur la plateforme « Operat » (2020 et 2021). Il a également été précisé qu’il sera possible de modifier son année de référence tout au long de l'année 2023. La difficulté de construction des valeurs absolues n’est pour autant pas derrière nous, malgré ce délai supplémentaire.

Autre motif d’inquiétude : la co-responsabilité du locataire et du propriétaire dans l’effort d’optimisation énergétique du bâtiment. Quels efforts espérer d’un locataire qui risque de quitter les lieux avant même le premier jalon de 2030 ? Comment un propriétaire peut-il s’assurer des progrès réalisés alors qu’il n’est pas présent au quotidien sur son site ? “En diluant les responsabilités, on peut craindre des situations dans lesquelles chaque membre du binôme estime que ce n’est pas à lui d’agir” estime Benoît Dubois-Taine.

Quelles actions pour améliorer la performance énergétique ?

Heureusement, sur le terrain les acteurs du secteur disposent de solutions pour réduire la consommation énergétique de leurs bâtiments logistiques. On pense d’abord à des actions de mesure, d’analyse et d’optimisation des consommations visant des usages comme le chauffage ou l’usage de l’électricité. Des initiatives qui ont le triple avantage d’être éprouvées, de ne pas nécessiter de grands investissements et surtout de provoquer des résultats rapides. Ceci fait, l’étape suivante nécessite davantage de transformations.

Pas forcément sur l’enveloppe du bâtiment qui est moins sensible dans l’univers de la logistique que dans celui du bureau. Il s’agit plutôt du remplacement ou de l’intégration de nouveaux équipements. « L’optimisation énergétique de sites plus anciens imposera de remplacer les systèmes aujourd’hui dépassés. Je pense notamment à la production de chauffage, à l’éclairage ou à la climatisation », explique Michel Hédouin, responsable de missions chez Sinteo. Des transformations qui devront être réalisées tout en veillant au maintien des règles de sécurité spécifiques à l’immobilier logistique, notamment en matière de lutte contre le risque incendie.

Enfin, la dernière brique de cette optimisation énergétique passe par l’intégration d’énergies renouvelables et notamment de panneaux photovoltaïques en toiture. La loi Énergie Climat de 2019 et la loi Climat Résilience de 2021 fixent ainsi une obligation de 30% de couverture photovoltaïque lors de la construction de ce type de bâti. Un seuil relevé à 50% de couverture (sur trois ans et sur le périmètre d’un même opérateur) par la charte d’engagements réciproques sur la performance économique et écologique de l’immobilier logistique, signée en 2021 entre l’État et Afilog.

Une filière déjà en ordre de marche

S’il est encore difficile de mesurer l’impact du décret tertiaire sur les habitudes de l’immobilier logistique, la filière n’a heureusement pas attendu ce texte pour s’engager vers la sobriété énergétique. En 2011 déjà Afilog menait la première enquête sur la performance énergétique des entrepôts. « L’heure est clairement à l’action. Les professionnels du secteur savent que l’objectif d’une baisse de -50% de la consommation en 2040 sera difficile à atteindre. Pour autant, ce ne doit pas être une raison pour baisser les bras. En plus de la sobriété énergétique, la question de l’empreinte carbone est également en train de s’imposer dans la filière. Les entreprises de la logistique souhaitent apporter des réponses aux attentes de la société », témoigne Benoît Dubois-Taine. Mieux, la performance énergétique constitue également un enjeu économique et une composante de la valeur de l’actif immobilier logistique. D’abord parce-que la hausse des prix sur le marché de l’énergie impose aujourd’hui de consommer au plus juste. Mais également parce que le respect des objectifs du décret tertiaire pourrait s’imposer demain comme un élément de valorisation des entrepôts et un enjeu contractuel.

« Un propriétaire qui ne serait pas au rendez-vous du respect de son obligation pourrait donner à l'acquéreur, ou au locataire, un levier de négociation, voire conduire à rendre son actif moins attractif pour un investisseur. Pour des raisons économiques comme environnementales, le décret tertiaire contribue à faire évoluer les standards du marché de l’immobilier logistique. Autant donc être un bon élève aujourd’hui en veillant à sécuriser la mise aux normes progressive des bâtiments, plutôt que d’avoir à travailler dans l’urgence à l’approche des échéances décennales » La relation bailleur preneur sera le terrain de déploiement opérationnel de cette nouvelle donne. Attentive, appliquée mais toujours en quête de conseils et précisions, la filière de l’immobilier logistique se place en première ligne de la transition énergétique.

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