Comment Bic a réécrit sa logistique
Si Bic, fabricant de stylos, de briquets et de rasoirs, connait un succès jamais démenti depuis bientôt 80 ans, il le doit en grande partie à son organisation logistique, qui sait s’adapter aux vicissitudes du monde. Explications
Fleuron de l’industrie française depuis bientôt 80 ans -, Bic a su rester un groupe familial avec, à sa tête, depuis 2018, Gonzalve Bich, représentant de la troisième génération. Et si l’entreprise a su, et sait toujours rester sur le devant de la scène, elle le doit à son agilité et à sa capacité à savoir évoluer avec son temps. En ce sens, la stratégie logistique de Bic, en rapide mutation ces dernières années, est un parfait exemple de cette aptitude à savoir « bouger les lignes ».
Pour Bic, comme pour bon nombre de groupes industriels, il y a eu un avant et un après crise du Covid. Que l’on se souvienne de la désorganisation qui fut celle de cette année 2020 : frontières fermées, partout dans le monde, flux de personnes et de marchandises totalement interrompus des mois durant… A la clé, une hausse spectaculaire des coûts de transport : le prix d’un conteneur a ainsi été multiplié par 5 courant 2020 pour passer, selon le Freightos Baltoc Index, de 2.240 dollars en 2019 à 9.950 dollars fin 2020.
Si, depuis, les tarifs sont revenus à des niveaux plus acceptables, ce grand bouleversement international a laissé des traces, gravant dans tous les esprits ce fait indélébile que « cela pourrait arriver à nouveau. » Et comme, depuis, une crise énergétique est venue se greffer à cela, faisant cette fois bondir le prix des carburants, tous les fragiles équilibres des organisations logistiques savamment mises en place dans le passé sont battus en brèche.
Bic, un groupe à la logistique très mondialisée
C’est d’autant plus vrai pour une entreprise comme Bic, qui fabrique des produits à faible unité de valeur (stylos, de briquets et de rasoirs) : l’impact des coûts fixes, sur le coût de production final, y est par définition plus important. C’est pourquoi il est primordial, pour le groupe, de savoir se prémunir de toute variation subite qui viendrait mettre en un grain de sable préjudiciable dans les rouages de sa supply-chain. A fortiori comme quand, dans son cas, on est si internationalisé, avec ses 24 usines réparties dans quatre continents, dont 6 en France (à Redon, Longueil-Sainte-Marie, Marne-la-Vallée, Guidel, Montevrain et Samer).
Pour s’adapter aux nouvelles donnes de la logistique mondiale, faites d’une plus grande incertitude, Bic a donc remis à plat l’ensemble de son organisation. Il y a quelques années encore, le fonctionnement était très centralisé et vertical, toutes les décisions venant et passant par le siège de Clichy (92). Ce schéma n’est plus à l’ordre du jour. L’heure, maintenant, est à la régionalisation. L’idée est que chacune des 24 usines se spécialise dans une activité et serve un marché local. Et l’idée, surtout, est de donner à chacune des régions davantage d’autonomie pour gérer ses activités, au plus près de ses propres besoins. « Nous sommes passés d’une culture avec des prises de décisions centralisées à des équipes en région dédiées à l’exécution, avec une organisation autonome, de la stratégie à adopter jusqu’à son déploiement », indiquait ainsi un ancien responsable supply chain au site Republik Supply.
Sophie Legrand, directrice de l’usine Bic Rasoirs de Longueil-Sainte-Marie (60), confirme cette organisation, à travers le portrait qui lui est consacré dans le magazine professionnel LSA : « Les décisions stratégiques, quant aux marges ou au prix final du produit, appartiennent au groupe. De mon côté, je suis chargée de maintenir le coût de ce qui sort de l’usine », explique-t-elle.
Une approche locale de sa logistique est aujourd’hui recommandée
En clair, chaque usine peut s’organiser comme elle le souhaite, à condition qu’elle remplisse in fine les objectifs fixés par le groupe. C’est là la pleine application de la nouvelle approche end-to-end décidée dans le cadre du plan stratégique Horizon, élaboré fin 2020. Une manière de simplifier les process et d’en réduire la complexité, promettait alors Bic. Le principe de cette logique end-to-end ? Elle offre à chacune des usines une vision globale de sa supply-chain plutôt que de se voir limité à un seul petit maillon. Or, c’est la logique même du général sur un champ de bataille, en somme : s’il peut épouser d’un seul regard le théâtre des opérations, il maximise ses chances de prendre les bonnes décisions…
Ici, pour Bic, c’est pareil : « Ces changements permettent de réduire les coûts et d’optimiser la génération de cash ». Car, en régionalisant son organisation logistique, le groupe gère mieux ses approvisionnements, au plus près des besoins réels de chaque usine, et limite ses flux mondiaux, essentiellement maritimes, de plus en plus coûteux, pour privilégier des flux régionaux. « La crise pandémique, avec la pression énorme qu’elle a fait peser sur la supply-chain mondiale, a clairement démontré qu’une approche locale est plus efficace (…) car elle permet de s’organiser pour être capable de réagir plus rapidement et avec plus de souplesse », lit-on dans un article du site de Rotom.
L’enjeu de savoir déléguer à « ceux qui savent »
Cela suppose néanmoins de savoir s’appuyer sur tout un spectre de prestataires nouveaux : nouveaux et compétents pour faire en sorte que cette régionalisation soit gagnante plutôt qu’elle ne rajoute seulement un niveau de complexité supplémentaire. « L’enjeu, vis-à-vis de nos prestataires, se situe au niveau de la valeur ajoutée. Nous allons devoir leur demander d’être davantage force de proposition. Nous sommes ainsi en train d’étudier des solutions pour gérer plus intelligemment nos flux de transport, par exemple en sous-traitant des fonctions de pilotage et de control tower. Cela implique en effet une réflexion sur le make or buy », expliquait fin 2022 Manuel Rodriguez, ancien directeur supply chain et distribution du groupe Bic.
La logique, ici, est de chercher à sous-traiter « à ceux qui savent », solidement implantés dans leur zone et qui en ont une connaissance bien plus parfaite que Bic ne pourrait en avoir depuis son siège. Pour une entreprise comme Bic, habituée à quasi tout gérer elle-même (92% des produits BIC sont fabriqués dans des usines Bic, selon le rapport annuel 2023), c’est là une révolution copernicienne.
Le digital et la data pour assurer un suivi et garder le contrôle
Mais que l’on se rassure : cela ne signifie pas que le groupe abandonne tout contrôle de ses affaires. Cette souplesse d’action nouvelle, donnée aux régions, est pleinement contrôlée grâce à la digitalisation des process. Car donner de l’autonomie, ce n’est pas laisser faire n’importe quoi, évidemment. « Le digital peut nous aider à organiser les flux et à organiser le suivi des containers en transit par exemple », indique Vincent Espie, vice-président Supply-chain de Bic Europe, dans une interview donnée à SC Radio TV, avant de poursuivre sur les vertus de la data analytic : « elle nous aide à être meilleurs sur les prédictions de ventes, ce qui vient ensuite tirer toute la supply-chain. »
A la clé, moins de ruptures, un meilleur taux de service, donc des usines qui « tournent » de manière plus efficace. D’une manière générale, « les données sont cruciales pour la logistique, car elles permettent de tirer des conclusions du passé et de fournir des prévisions pour l’avenir », l’objectif étant de « stabiliser la chaîne d’approvisionnement en anticipant et évitant les perturbations, et en développant des plans alternatifs pour respecter les calendriers », peut-on ainsi lire sur le site de Doc Shipper.
Un cercle vertueux se crée, aidant à la diminution de l’empreinte carbone
Ce suivi optimisé, gage d’une meilleure efficacité, a aussi une autre vertu : une meilleure gestion de sa supply-chain, c’est très directement moins de gaspillages, et moins de gaspillages c’est moins de dépenses carbone. Ne circulent ainsi, sur l’ensemble de la chaine, que les matières premières dont l’entreprise a besoin, et sur des itinéraires optimisés qui plus est.
Chez Bic, l’empreinte environnementale a ainsi déjà été considérablement réduite : « Nous avons réduit notre empreinte environnementale, de la création du produit à la fin de son cycle de vie, en passant par une stratégie de recyclage et un contrôle des émissions des usines et des bureaux Bic », indique le groupe dans son rapport annuel, détaillant encore : « -19,1 % de consommation dʼeau, -4,7% de consommation d’énergie, -2,2 % de production de déchets, -18,1% d’émissions de gaz à effet de serre (scope 2), -0,6 % d’émissions de gaz à effet de serre (scope 3) par tonne de production entre 2021 et 2022. » C’est ainsi un cercle vertueux qui se créée.