Environnement

Comment la logistique souffle le froid sans réchauffer la planète

22 mai 2023
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Fluides frigorigènes naturels, efficacité énergétique des systèmes, éco-conception des bâtiments… De nombreuses initiatives ont émergé, ces dernières années, dans le but de verdir la chaîne logistique du froid. Face à ce défi, les entrepôts logistiques à température dirigée ont un rôle crucial à jouer.

Logistique Froid Environnement

Un appel à projets européen regroupant vingt-six partenaires pour inventer la chaîne du froid de demain. Développé de 2010 à 2014, le programme de recherche Frisbee reste encore aujourd’hui un acte fort de l’engagement de la filière en matière d’environnement. Dix ans plus tard, les acteurs de la chaîne logistique du froid portent toujours des initiatives pour rendre leurs activités plus responsables. À l’image du travail de l'association La chaîne Logistique du Froid - fondée en 2016 - qui porte l’ambition de limiter la consommation d’énergie et l’empreinte carbone des entrepôts.

« La logistique du froid partage un certain nombre d’impacts environnementaux avec la logistique classique, explique Vincent Kirklar, directeur immobilier de STEF, spécialiste européen des services de transport et de logistique sous température contrôlée dédiés aux produits alimentaires (273 sites logistiques dans huit pays). Il s’agit par exemple de l’impact carbone du transport des marchandises, de l’emprise foncière des entrepôts ou de la consommation énergétique des bâtiments. L’aspect froid ajoute néanmoins des impacts supplémentaires comme la consommation d’énergie nécessaire à la réfrigération - dans les bâtiments et les véhicules - ou l’utilisation de fluides frigorigènes qui permettent la production de froid ».

Vers la fin des fluides les plus polluants pour l’environnement dans la logistique du froid

Même en s’en tenant au périmètre de l'entrepôt, l’utilisation des fluides frigorigènes reste le sujet le plus débattu en matière d’impact environnemental de la chaîne du froid. Historiquement, les discussions ont d’abord porté sur les impacts de ces fluides sur la couche d’ozone. Une menace désormais écartée. Aujourd’hui, ce sont plutôt les conséquences de ces fluides sur le changement climatique qui inquiètent. Comme en atteste le règlement européen dit " F-Gas II" qui interdit - depuis le 1er janvier 2015 - les fluides les plus nocifs. En cours de négociation au niveau européen, la réglementation F-Gas III devrait entrer en vigueur en 2024 avec une amplification et une accélération des restrictions.

« Bien sûr, on ne pourra pas remplacer du jour au lendemain tous les systèmes existants dotés de fluides frigorigènes obsolètes, analyse Jonathan Leguil, expert technique et chargé de l'innovation au sein d'Axima Réfrigération France, une entité du groupe Equans. Pour autant, nous disposons désormais d’une palette de technologies qui nous permet de recourir à des réfrigérants dits naturels. C'est une famille qui regroupe des produits comme l’ammoniac, le propane ou le dioxyde de carbone qui peut être issu de récupération sur des processus industriels. L’impact n’est pas nul, mais il très largement inférieur à ceux des fluides utilisés lors des décennies précédentes. » Pour accompagner ce changement d'usage, les différents fluides du marché sont d’ailleurs désormais classifiés selon leur GWP (Global Warming Potential, c’est-à-dire le pouvoir réchauffant d'un gaz).

L’impact du froid sur la consommation énergétique

Avec l’usage de fluides frigorigènes, l’empreinte énergétique représente le second enjeu environnemental clé pour les plateformes logistiques du froid. En pratique, il varie selon les activités des entreprises (stockage, préparation de commandes, congélation), les produits prestés et le type d’entrepôts (réfrigéré, surgelé, multi-température…). Certains professionnels constatent que 60 à 80% de la consommation électrique de l'entrepôt sont liés au process froid. Une dépense énergétique dont l’impact carbone sera différent selon la source d’électricité du bâtiment. « Nous parvenons à réduire facilement la consommation de la partie frigorifique de plus de 20 % par rapport aux années 2010 grâce aux nouvelles technologie installée, témoigne Jonathan Leguil. La digitalisation et la mesure des consommations d’énergie du système frigorifique permettent de s’engager sur les performances dans une logique permanente d’efficacité énergétique. » L’usage de CO2 comme vecteur de transport du froid combiné à de l’ammoniac, ou à un cycle transcritique permet d’avoir une baisse des consommations maximales (delta de 20 à 30%). A l’inverse, le développement des systèmes de réfrigération indirects utilisant de l’eau glycolée pour limiter la quantité de fluide frigorigène ou les risques peut être contre-productif d’un point de vue énergétique.

Digitalisation, systèmes de mesure, suivi des anomalies… La logistique du froid applique les mêmes recettes que celles qui ont déjà permis à des milliers d’industriels ou de gestionnaires tertiaires de réduire leurs factures. Avec des gains parfois spectaculaires. « Entre 2017 et 2021, notre groupe a augmenté de plus de 25% sa capacité globale de stockage sous températures tout en baissant ses volumes d'achats d'énergie de 4% », se félicite Vincent Kirklar. Pour améliorer encore son empreinte énergétique, le groupe STEF vise désormais entre 20 et 25% d'autoconsommation électrique (via des panneaux photovoltaïques) pour l’ensemble de ses sites européens.

Des bâtiments conçus dans une logique responsable

Au-delà des sujets de fluides frigorigènes et de consommation énergétique, les acteurs de la logistique du froid veillent aussi à concevoir plus durablement leurs nouvelles plateformes. Avec la spécificité que, contrairement aux entrepôts dits « secs », les bâtiments à température dirigée sont dans nombre de cas détenus par les opérateurs. Cela apporte plus de latitude dans la décision de travaux d’amélioration à mener, mais aussi une responsabilité directe des investissements. Une vigilance qui commence lors du choix d’un emplacement. Leurs objectifs ? Optimiser le futur plan de transport des marchandises, respecter la biodiversité environnante et s’inscrire dans une démarche de sobriété foncière. « Une bonne conception vient directement contribuer à la performance du futur site, précise Vincent Kirklar. Chez STEF, nous essayons par exemple d’imaginer des plateformes qui se rapprochent le plus de la forme d'un cube. De même, en ayant démarré depuis plus de 40 ans, nous avons été parmi les pionniers à construire des entrepôts à étages. Ce sont des choix forts qui permettent à la fois de réduire l’emprise au sol et de limiter les déperditions énergétiques. »

Toujours en phase de conception, il convient d’opter pour des matériaux et équipements (systèmes frigorifiques, tuyauteries, câbles…) à faible impact carbone et à forte efficacité énergétique afin de s’inscrire dès l’ouverture sur le mieux disant de l’époque. « En matière de réduction de l’impact environnemental, nous avons déjà fait du chemin en agissant sur les fluides et la consommation d’énergie, estime Jonathan Leguil. Demain, il faudra évidemment consolider tout ce qui existe aujourd’hui. Nos entreprises devront également accélérer sur les sujets majeurs que sont la digitalisation et l’intelligence artificielle pour piloter et maintenir les systèmes ou encore le stockage et la récupération d’énergie. Comme toujours, il n'y aura pas de solution miracle, mais plutôt un panel d’outils à combiner. » Nombreuses sont les options à explorer ou à intensifier. La flexibilité apportée par la gestion du froid permet par exemple de maximiser l’autoconsommation des ENR produites localement. De même n entrepôt pourrait également être exportateur net de chaleur fatale vers un tiers ou un réseau urbain moyennant l’ajout d’une pompe à chaleur pour adapter le niveau de température. Chez STEF, une entité dédiée à ces sujets, baptisée Blue EnerFreeze, a même été créée pour avancer rapidement sur ces sujets comme la production d’énergies renouvelables dédiées à la production de froid et son stockage. Lancée en 2018, elle compte déjà plus de 30 collaborateurs en Europe dont des experts en performance énergétique, des automaticiens, des data scientistes ou des ingénieurs en énergie solaire ou éolienne. On compte sur les acteurs de la filière pour ne pas avoir froid aux yeux.

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