Territoires

Quand les « hôtels industriels » arrivent en ville

28 mars 2024
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Depuis plusieurs années, des activités de production reviennent en ville. Entre 2016 et 2019, 60 % des emplois industriels créés l’ont été dans les métropoles et leurs couronnes. En offrant des surfaces adaptées, les « hôtels industriels » permettent de conserver des activités industrielles et productives dans un tissu urbain dense. A Paris ou à Lyon, deux villes où les contraintes sur l’immobilier et le foncier sont nombreuses, le concept fait flores, et permet d’éviter la fuite des activités vers les périphéries lointaines. Mais cela sera-t-il suffisant ?

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L'hôtel industriel Serpollet commandé par la RIVP à Paris en 1989 (©D.R.)

Au fil des décennies, les industries ont progressivement été chassées de nos villes. Les raisons de ce départ sont multiples : considérées comme polluantes et génératrices de nuisances, elles ont beaucoup souffert de la concurrence pour l’accès au foncier avec d’autres fonctions, comme l’habitat ou le bureau. Résultat, la plupart des usines ont été poussées hors des villes. La construction de chemins de fer dans les banlieues, dans un premier temps et la démocratisation de l’automobile, dans un deuxième, en favorisant la mobilité des salariés, ont permis aux industries de s’affranchir de la proximité immédiate de la ville.

Maintenir l’activité en ville

À Paris on constate, dès les années quatre-vingt, un recul des activités industrielles sur son territoire. « Des secteurs d’activité comme la mécanique, le textile et l’imprimerie voyaient fondre le nombre de leurs établissements et leurs emplois. L’artisanat du meuble et les métiers d’art suivaient la même tendance. Artificialisation excessive, enclavement, dépendances automobiles, sans oublier l’uniformisation de la ville : la fuite des industries en périphérie pose pourtant des problèmes. Des problèmes que certaines collectivités tentent de résoudre. Dans ce contexte, la ville de Paris a initié une politique de maintien de certaines activités de production non polluantes, créant des locaux spécifiques appelés hôtels d’entreprises », indiquait l’Atelier Parisien d’Urbanisme dans une note datant de 2014 consacrée à l’offre de locaux d’activités dans la capitale. Ces « hôtels d’entreprises » offrent des espaces locatifs de dimension réduite, visant principalement les sociétés opérant dans les secteurs de la production ou des services. Cette solution s’adresse aux entreprises naissantes ou en expansion, surtout là où le marché privé de location immobilière est limité ou ne répond pas aux besoins. Une trentaine d’entre eux ont été créés à Paris entre 1980 et 2000. 

Mais il faut remonter au début du XXe siècle pour trouver la genèse de ce type de projet. Il prend alors son essor, grâce à la popularisation du béton armé et de la structure métallique qui facilitent la gestion de charges importantes. Parmi les exemples notables, on trouve l'usine Contrescarpe située au boulevard de la Bastille ainsi que plusieurs bâtiments sur la rue de Charonne. Des décennies plus tard, c’est « Mozinor », érigé à Montreuil dans un contexte de désindustrialisation de Paris qui verra le jour au début des années 1960 : 42 000 m² sur quatre étages, avec l’objectif de création de 10.000 emplois. Un projet « Ovni » pour l’époque, qui demeure remarquablement pertinent dans le contexte actuel, en écho aux enjeux contemporains tels que la préservation des activités productives urbaines, l'adoption de structures verticales pour limiter l'empiètement sur les espaces naturels, le partage de ressources et d’équipements, l'amélioration de la qualité de vie, ainsi que la capacité à s'adapter et à se transformer au fil du temps. Citons également l’hôtel industriel Berlier, quartier Bruneseau en bordure de périphérique qui donnera au genre ses lettres de noblesses, son architecte Dominique Perrault obtenant en 1990 une équerre d’or pour ce projet. 

Au XXIe siècle, c’est « la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), qui s’est engagée dans ce mouvement sous l’impulsion de la ville de Paris, au tout début des années 2010. La ville avait concédé l’exploitation de nombreux immeubles d’activités à des acteurs disparates par le biais de baux emphytéotique, c’est-à-dire, des baux de très longues durées. L’idée a alors été de rationaliser l’accompagnement de la ville vers les entreprises en confiant la gestion de ces surfaces d’activités à un acteur unique. La RIVP, en tant que société d’économie mixte, était toute indiquée pour le faire », rappelle Christophe Gerbenne, directeur du développement et de la gestion immobilière pour les entreprises au sein de la régie. Aujourd’hui, la RIVP gère une vingtaine d'hôtels industriel.

Du bâtiment tertiaire à l’hôtel industriel

La priorité de la collectivité est, à l’époque, d’accompagner jeunes pousses et startups pour trouver des locaux adaptés dans la capitale afin qu’elles ne partent pas vers d’autres horizons. Rapidement, toutefois l’enjeu devient de proposer des surfaces hybrides : à la fois lieux de production et bureaux. Ce sont les hôtels industriels, dont le but est éviter le départ des industries et d’accompagner la mutation de l’économie créative, qui, de plus en plus, a besoin de lieux de production et de logistique pour concevoir de nouveaux produits. Conçus comme un tremplin pour les jeunes pousses et les entreprises en pleine expansion, ces espaces uniques en leur genre offrent bien plus qu'un simple lieu de travail. À la croisée des chemins entre un incubateur d'entreprises et un centre d'affaires, l'hôtel industriel met à disposition des espaces locatifs modulables adaptés aux besoins spécifiques des industries de production et de services. 

Au cœur de zones où le marché immobilier classique peine à répondre aux exigences spécifiques des entreprises, ces structures d'accueil innovantes viennent combler un vide. « Les bâtiments tertiaires ne sont pas adaptés pour de la production industrielle. Leur capacité de charge aux sols est souvent trop faible et ils ne sont pas équipés pour recevoir de la logistique lourde », poursuit Christophe Gerbenne. Dans un hôtel industriel du 56-62 boulevard Davout, dans le XXe arrondissement de Paris, la régie immobilière a pu accueillir en 2023 un brasseur souhaitant produire de la bière localement. Ce producteur avait besoin d’une capacité de charges au sol d’1,5 tonnes, de capacités de stockage et de quais de déchargement. L’Hôtel Industriel de l’Ourcq à Pantin (1989) conçu par Paul Chemetov et Huidobro Borja disposait lui de “rues intérieures” et accueillait les industries lourdes au rez-de-chaussée, tandis que des rampes permettaient aux véhicules d’accéder aux industries légères au-dessus.

Des hôtels industriels au service de l’Économie sociale et solidaire

Paris n’est pas la seule métropole à se préoccuper de ramener des activités productives et industrielles en ville. À Vénissieux, la métropole de Lyon propose, sur une ancienne friche industrielle, des surfaces adaptées aux jeunes entreprises tournées vers le high tech mais aussi vers l’économie sociale et solidaire (ESS). Le site accueille aussi bien Symbio, une entreprise qui développe une pile à combustible, que les Alchimistes, une entreprise issue de l’ESS qui crée du terreau avec des déchets alimentaires. « C’est l’avantage d’être une société d’économie mixte, comme la RIVP. Cela sécurise les preneurs de bail sur la durée. Nous n’allons pas revendre ces immeubles, et nous pouvons accompagner les entreprises locataires en cas de difficulté de trésorerie, par exemple », illustre Christophe Gerbenne. Et ce n’est que le début. La RIVP a rénové l’hôtel industriel Serpollet, dans la ZAC Pyhton-Duvernois à Paris, en 2023. Le site est désormais consacré aux activités autour de l’alimentation et de la récupération de déchets alimentaires. Elle devrait également passer le périphérique cette année et ouvrir plusieurs hôtels industriels dans des communes de petite couronne, comme à Ivry-sur-Seine, Pantin ou encore Saint-Denis, elles aussi séduites par le modèle des hôtels industriels.

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