Territoires

Une ville sans logistique est-elle possible ?

28 mars 2024
Lecture : 4 minutes

Sans livraisons, une ville comme Paris verrait ses stocks de produits alimentaires épuisés en seulement quelques jours. Les autres métropoles, partout dans le monde, ne seraient pas mieux loties. Et comme l’approvisionnement alimentaire ne serait pas le seul problème, peut-on raisonnablement imaginer une ville sans logistique ? 

Ville Sans Logistique

Bien sûr, il y a la pollution. Évidemment, il y a les problèmes de congestion du trafic, souvent du bruit. Mais une ville sans logistique est-elle néanmoins possible ? A quoi ressemblerait notre pays si tout le secteur de la logistique s’arrêtait ne serait-ce que deux semaines ? 

La pénurie de denrées alimentaires élémentaires serait générale puis, dans la foulée, les entreprises stopperaient leur activité, les unes après les autres, faute de matières premières ou de pièces de rechange. « Cette absolue nécessité de devoir faire avec les problématiques de la logistique est cruciale à avoir en tête. Car si l’on peut imaginer une ville sans voiture, pourquoi pas, on ne pourra jamais supprimer les livraisons. Ou alors c’est une ville-musée que l’on conçoit, une ville sans habitant », insiste Jérôme Libeskind, créateur du bureau d’études Logicités et expert en logistique urbaine. 

Sans logistique, rien de bon à attendre 

Mais allons au bout de la logique malgré tout, histoire de tout à fait se convaincre, s’il en était besoin, que la logistique a pleinement sa place dans nos villes : les magasins seraient vides et l’activité économique arrêtée, c’est une chose entendue. Certes, on pourrait utiliser les quelques espaces verts qui agrémentent les centres urbains pour les transformer en potager, comme aux pires temps des guerres. Mais de là à imaginer pouvoir nourrir tout le monde, c’est clairement utopique. Sans livraisons, une ville comme Paris verrait ses stocks de produits alimentaires épuisés en trois jours. Un chiffre à préciser selon l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) qui réalise actuellement une étude sur la résilience alimentaire en lien avec les capacités de stockages et les flux alimentaires liés à la logistique dans la métropole du Grand Paris : “c’est le chiffre que tout le monde a en tête mais à travers cette étude, notre travail aujourd’hui est d’objectiver ce dernier", explique Pauline Chazal, cheffe de projet mobilités et logistique urbaine. S’il est encore trop tôt pour que l’Apur donne une réponse précise, il est certain que les stocks seraient rapidement épuisés. Et pour cause : un adulte en bonne santé ingère 1,45 kg de denrées alimentaires par jour. Or Paris compte 2,1 millions d’habitants et accueille près de 3,5 millions de personnes en journée tandis que la capacité de stockage dédié à l’alimentaire dans la métropole a été estimé à environ un million de m2 par l’Apur en 2022 précise Flora Maytraud, chargée d’études au sein de l’Apur.

Les habitants seraient aussi rapidement coupés du monde : à la moindre panne de réseau, plus d’électricité, puisque plus aucun moyen de réparer… Et plus, non plus, la possibilité d’acheter à l’extérieur. Exit donc, pour une ville comme Paris, les quelque 500.000 colis ordinairement livrés tous les jours. Sans logistique, difficile également de soigner. “La logistique est essentielle dans le domaine de l’alimentation et aussi le bon réapprovisionnement de nombreux équipements médicaux, je pense aux masques, aux poches de sang mais aussi aux médicaments” rappelle Patricia Pelloux, directrice adjointe de l’Apur. Il en va de même pour le secteur du BTP, sans logistique, pas de matériel ni de matériaux et donc pas de chantier. La liste serait encore longue mais ce ne serait pas le pire.  

« Il faut aussi penser à la logistique inverse, soit tout ce que la ville produit comme déchets et qui ne seraient plus ni évacués, ni traités », avertit Jérôme Libeskind. Chaque français produit en moyenne 590 kilos de déchets ménagers par an selon l’Ademe. La quantité de déchets a doublé en 40 ans rappelle l’agence.  Difficile d’imaginer ne serait-ce que deux semaines sans le ramassage de nos ordures. L'an dernier, les éboueurs ont d’ailleurs une fois de plus rappelé leur rôle essentiel en se mettant en grève durant plusieurs jours. L’impact économique serait également dévastateur : la logistique représentant 3 millions de mouvements de marchandises par an et 1 million rien qu’à Paris, de nombreux emplois disparaitraient dans un secteur qui en compte 2,1 millions en France (la logistique est le 5e recruteur en France). Sans oublier les destructions d’emplois indirects dans les secteurs tels que le BTP, la restauration… Mais alors comment faire pour éviter d’en arriver là tout en intégrant enfin harmonieusement la logistique dans nos villes ?

Éviter, faire différemment et améliorer 

« On note une dégradation forte de l’efficacité logistique depuis vingt ans, du fait de la métropolisation de nos villes qui s’étalent sans cesse davantage sur leur territoire, sur 10, 20, 30, voire 40 kilomètres, comme c’est le cas à Montpellier par exemple. Cela génère des flux mal optimisés, des kilomètres supplémentaires et, donc, une moindre efficacité globale. Il faudrait tenir beaucoup mieux compte des impératifs de la logistique dans la conception même des habitats urbains. Si l’on pense en effet à la qualité de vie, on se désintéresse trop souvent des questions liées à l’approvisionnement », insiste Jérôme Libeskind, par ailleurs auteur du livre Si la logistique m’était contée, paru aux Editions FYP. La clé, c’est cette fameuse logistique du dernier kilomètre. Et il y a mille façons de la concevoir plus efficace, plus vertueuse, plus acceptable pour les habitants. Mille, parce que chaque cas est différent, suivant les conditions propres à chaque ville. Mais il faut tout passer au crible du triptyque suivant : « Déterminer ce que l’on peut éviter, ce que l’on peut faire différemment et, enfin, ce que l’on peut améliorer », résume l’expert. 

Cela peut être de développer la cyclo-logistique, de chercher à privilégier le transport fluvial et ferroviaire quand c’est possible, mais aussi de toujours mieux optimiser les tournées de livraisons (fiabilité des adresses, s’assurer de la présence du client à son domicile, pour éviter des kilomètres de retour des colis superflus, etc.) ou encore de veiller à ne pas suremballer les articles car, comme le rappelle Jérôme Libeskind, « on transporte encore aujourd’hui beaucoup trop de vide. » 

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