G. Decorzent : « Une logistique qualitative est un facteur d’attractivité essentiel pour les porteurs de projets industriels »
Avec la loi Industrie Verte promulguée le 23 octobre dernier, le gouvernement ambitionne d’entretenir la dynamique de réindustrialisation enclenchée en 2017 tout en décarbonant l’appareil productif. Une approche qui embarque la logistique et son immobilier. Interview de Guillaume Decorzent, sous-directeur des services marchands à la Direction Générale des Entreprises.
Quel est le niveau de réindustrialisation constaté en France depuis 2022 ?
Guillaume Decorzent : Depuis 2017, les politiques publiques menées par le gouvernement ont permis d’inverser la courbe des fermetures d’usines après 30 ans de désindustrialisation. Ces deux dernières années, ce sont au bas mot 200 usines ouvertes nettes, c’est-à-dire de plus que celle qui ont pu être fermées sur la même période, sur l’ensemble du territoire et 90 000 emplois créés. Les lois Travail et PACTE, les baisses d’impôt sur les sociétés et de production et les plans France Relance et France 2030 permettent à la France de redevenir une nation de production, une nation industrielle. Notre politique volontariste, sous l’impulsion de Bruno Le Maire et Roland Lescure, porte ses fruits et des bassins économiques entiers sont redynamisés : Vallée d’Arve, le bassin industrialo-portuaire de Dunkerque, Fos-sur-Mer... pour n’en citer que quelques-uns. Avec la loi « Industrie verte » nous allons encore plus loin pour non seulement réindustrialiser la France, mais aussi décarboner notre appareil productif. A titre d’exemple, la décarbonation des 50 sites industriels annoncée par le Président de la République permettra d’ici 2030 de réduire de 45% les émissions de ces sites qui représentent à eux seuls 55% des émissions de l’industrie.
Quel rôle occupe la logistique dans ce mouvement de réindustrialisation ?
Guillaume Decorzent : La logistique est un maillon essentiel à la réindustrialisation, verte, du pays. L’émergence de nouveaux sites industriels nécessitera une infrastructure logistique performante. Une gigafactory produisant des batteries électriques demandera, en plus des lignes d’assemblage, une capacité d’entreposage adaptée. Son implantation entraînera de nouveaux flux de transport pour alimenter le site en matières premières et acheminer les produits finis dans toute l’Europe et au-delà. Autre cas, le développement de production de pales d’éoliennes nécessite des transporteurs capables d’acheminer ses pales d’une longueur de 107 mètres. Ce sont autant d’exemples d’acteurs industriels qui contribueront à décarboner notre économie et qui auront besoin d’une offre logistique efficace et compétitive.
La relocalisation de la production industrielle contribue d’ailleurs à la décarbonation de notre économie par un raccourcissement des flux internationaux de grande distance menant à une réduction des émissions de CO2 induites par le transport. Là encore, rien ne serait possible sans une réorganisation en profondeur des circuits logistiques d’une logique d’acheminement des marchandises importées des grands ports maritimes européens vers une logique de dissémination à l’échelle européenne d’une production locale. L’économie circulaire posera elle aussi des défis pour organiser la collecte, le traitement et la réexploitation de biens usagés. La flexibilité dont ont fait preuve les chaines d’approvisionnement pour réorganiser les flux d’énergie suite à la crise ukrainienne me conforte dans l’idée qu’elles sauront relever ce défi.
Notons d’ailleurs que le secteur du transport lui-même est un acteur majeur de la transition énergétique et environnementale. Le CILOG qui s’est tenu le 22 décembre 2023 a été l’occasion de lancer de nouvelles mesures en faveur de cette transition de la filière. L'électrification des poids lourds, fixée à 2040, est un levier important pour la décarbonation. Le gouvernement soutient la filière à travers plusieurs dispositifs dont le suramortissement fiscal et l'appel à projets « écosystème des véhicules lourds électriques ». En 2023, 1 073 poids lourds électriques ont ainsi été financés, impulsant une nette accélération et marquant la maturité de l'offre industrielle, avec une gamme de plus en plus étendue. Près de 80% des véhicules soutenus par l’AAP ont été produits en France contribuant ainsi à faire émerger une filière d’excellence dans le secteur du transport décarboné.
Comment le gouvernement accompagne-t-il la réorganisation des schémas logistiques dans cette logique de réindustrialisation ?
Guillaume Decorzent : Il s’agit avant tout d’affiner les diagnostics sur le parc des entrepôts logistiques dans les territoires. Ce diagnostic pourra s’appuyer notamment sur les travaux du Service des données et études statistiques du ministère de la Transition énergétique et de la Cohésion des territoires qui travaille actuelle sur la mise à jour de l’Atlas des entrepôts. Ensuite, il s’agit de qualifier les besoins futurs en fonction des dynamiques territoriales propres, notamment en lien avec les politiques de réindustrialisation et d’anticipation des flux de transport sur la base des travaux conduits dans le cadre de la régionalisation de la Stratégie nationale bas carbone et l’étude de la demande de transport conduite par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités.
Ces études doivent être au service des acteurs de terrain, qui sont les mieux placés pour accompagner le développement des schémas logistiques. Pour ce faire les services déconcentrés de l’État en région et tous les acteurs locaux jouent un rôle majeur, c’est le sens des conférences régionales de la logistique qui se sont tenues en 2023. Ainsi, l’Atlas des entrepôts et l’étude de la demande de transport pourront utilement alimenter les documents stratégiques de planification à l’échelle des territoires concernés, et plus spécifiquement les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’équilibre des territoires (SRADDET), les schémas de cohérence territoriaux (SCoT) et les plans locaux d’urbanisme (PLU). Notre objectif est que soit implanté le bon entrepôt au bon endroit, au cœur des barycentres pour limiter les distances parcourues, mais aussi davantage connecté aux réseaux ferrés et fluviaux pour encourager la massification des flux.
Dans cette optique, l’instruction aux préfets du 21 octobre 2021 portant sur l’organisation des conférences régionales de la logistique sera actualisée en 2024 pour préciser les actions de suivi pouvant être mises en place. Les territoires les plus avancés sur le sujet seront encouragés et accompagnés en vue de structurer leur démarche sous forme d’une feuille de route précisant les actions collectives prioritaires à mener en fonction des spécificités de chaque territoire.
Après la promulgation de la loi Industrie verte et l’annonce des 183 nouveaux territoires d’industrie fin 2023, quels sont les prochains leviers à actionner pour accélérer la réindustrialisation alors que les usines ouvertes et les emplois créés dans les secteurs industriels pourraient passer en négatif en 2024 ?
Guillaume Decorzent : Comme je le dis plus haut, nous avons inversé la tendance dès 2017, et pour l’heure les chiffres sont particulièrement positifs. On réouvre aujourd’hui, et cela depuis plusieurs années, plus d’usines qu’on en ferme en France : c’est un résultat concret de notre politique industrielle. Bien que la conjoncture soit difficile avec l’épisode inflationniste que nous avons connu et les effets de rattrapage suite à la crise Covid que nous continuons de subir, selon nos observations la dynamique est toujours en marche et nous devrions continuer à avoir des indicateurs d’ouvertures nettes de sites industriels et de création d’emplois industriels dans le vert ces prochaines années, 2024 compris. À ce titre, il est important de rappeler l’impact de l’industrie sur l’emploi : elle exerce un effet multiplicateur important sur l’emploi local entraînant, au-delà des emplois industriels, la création d’emplois dans les activités de proximité et les services à l’industrie du territoire, dont la logistique. Dans le cas de la France, on estime que 100 postes industriels, vont créer entre 83 (*1) et 154 (*2) nouveaux emplois indirects.
Sur les leviers à actionner, il y a plusieurs façons de soutenir l’industrialisation. D’une part nous pouvons jouer sur la fiscalité, cela a été le cas avec la suppression de l’impôt de production CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) : l’industrie sera le premier bénéficiaire, à hauteur de plus de 25 % du gain total, soit près du double de sa part dans le PIB. Par ailleurs, dans le cadre de la loi industrie verte, le crédit d’impôt pour l’industrie verte (C3IV), est une des mesures les plus incitatives pour produire en France des composants essentiels ou des matières premières critiques en faveur de l’industrie verte qu’il s’agisse de l’éolien, de panneaux solaires, de batteries ou pompes à chaleur.
D’autre part, comme évoqué précédemment, nous menons un travail de fond pour libérer du foncier et permettre l’implantation de nouvelles usines. Annoncé par le Président de la République lors du lancement de la loi Industrie verte, un recensement est train d’aboutir pour offrir à l’industrie 50 nouveaux sites clés en main « France 2030 » pour accueillir les projets de réindustrialisation les plus stratégiques, cela fera l’objet d’annonces prochaines de la part de Roland Lescure. Par ailleurs un gros effort est fourni de la part de l’État et des collectivités pour accélérer les délais d’implantations et simplifier les procédures, ainsi la loi industrie verte prévoit une réduction des délais d’implantations de 17 à 9 mois ! De nombreuses autres mesures ont été lancés dans le cadre d’industrie verte et sont déployées ou en cours de déploiement. Par exemple : l’accompagnement renforcé de la réhabilitation de friches pour des projets industriels avec le fonds vert dès 2024, la mise en place de procédures accélérées quant à l’urbanisme et au raccordement électrique pour les projets industriels les plus stratégiques, etc.
Quels rôles devront jouer la logistique et son immobilier dans cette stratégie ?
Guillaume Decorzent : Afin d’attirer et d’accompagner les porteurs de projet industriel, il faut être en mesure de leur proposer, en plus du foncier aménagé, une offre de service globale pour lancer leur activité. Une logistique qualitative est à ce titre un facteur d’attractivité essentiel qui devra être compris dans le bouquet de services inclus dans l’offre des 50 sites clés en main à laquelle je faisais référence.
Notre enjeu est donc d’accompagner les acteurs de la filière à développer une offre d’immobilier logistique répondant aux besoins identifiés tout en minimisant son impact environnemental, notamment en termes d’artificialisation. Pour cela, il convient de s’appuyer sur un dynamisme local, où les parties prenantes (collectivités territoriales, acteurs économiques, services de l’État) puissent dialoguer afin de lever les freins aux implantations de nouveaux projets. C’est le sens de la démarche de la charte d’engagements réciproques entre l’État et les acteurs de l’immobiliser logistique pour la performance environnementale et économique de l’immobilier logistique (dite charte « Afilog ») de juillet 2021.
Cette charte prévoit notamment la mise en place d’un groupe de contact entre les professionnels de la logistique et les différentes administrations concernées. Ce groupe permet d’éclairer certains points règlementaires pouvant nécessiter une clarification dans leur application opérationnelle. Être à l’écoute des problématiques rencontrées sur le terrain et apporter des réponses concrètes et opérationnelles s’inscrit en droite ligne dans la politique de simplification impulsée par le gouvernement.
(*1) Frocrain, P. & Giraud, P.‑N. (2018). The Evolution of Tradable and Non-Tradable Employment: Evidence from France. Economie et Statistique / Economics and Statistics, 503‑504, 87–107.
(*2) Clément Malgouyres, The Impact of Chinese Import Competition on the Local Structure of Employment and Wages: Evidence from France