Environnement

Décret tertiaire : petit guide pour les propriétaires et locataires d’entrepôts

22 mars 2024
Lecture : 3 minutes

La règle édictée par le décret tertiaire s’appuie sur une co-responsabilité des bailleurs et des exploitants pour atteindre ses objectifs ambitieux et donc pour financer les actions allant dans le sens de la performance énergétique du bâtiment. Le dialogue est primordial entre les parties-prenantes pour répartir les investissements de la manière la plus juste.

Guide Decret Tertiaire

Dans le secteur du bâtiment, c’est une petite révolution. Pour la première fois, le législateur ne se contente pas d’imposer des normes aux nouvelles constructions, mais entend bien plier l’existant à ses exigences. Aussi ce fameux Décret Tertiaire est-il au centre de toutes les attentions. Issu de la loi Elan de 2018 et promulgué en 2019, il impose à tous les bâtiments tertiaires de plus de 1.000 m2 une réduction de leur consommation énergétique de 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050. Le tout par rapport à une année de consommation référence située entre 2010 et 2019.

La loi s’applique à des bâtiments aussi différents que des centres commerciaux, des immeubles de bureaux, des bâtiments publics… et bien sûr, les entrepôts logistiques. Pour atteindre cet objectif, le législateur laisse une grande latitude dans les moyens à mettre en œuvre : sensibilisation des utilisateurs des locaux aux éco-gestes, mise en place d’un système de pilotage intelligent, remplacement des chaudières et des climatiseurs ou encore amélioration de l’isolation du bâtiment. Si cette liberté reste appréciable pour que chaque entreprise puisse définir la meilleure stratégie correspondant à ses moyens, elle risque aussi d’entretenir un certain flou qui pourrait mettre à mal la relation entre le propriétaire et son locataire.

Les particularités du décret tertiaire

« Les responsabilités sont mal définies entre propriétaires et locataires d’entrepôts afin de savoir qui doit faire quoi », note ainsi Pierre Orsatti, directeur général de NG Concept, une société chargée de la construction de plateformes logistiques. Avant d’établir une responsabilité entre locataires et bailleurs pour se répartir les travaux, peut-être vaut-il mieux bien s’inspirer de l’esprit du texte.

C'est ce que suggère Benoît Dubois-Taine, associé et cofondateur de ECH Energie et Systenza, deux sociétés de conseil spécialisées dans l’énergie des bâtiments tertiaires, et des entrepôts en particuliers : « Le décret tertiaire n’impose une diminution de la consommation d’énergie que si le coût de mise en œuvre de l’action, lissé sur la durée d’amortissement, n’excède pas les gains qu’elle engendre ; la mise en œuvre des actions imposées par le décret se traduit donc, a priori, et globalement, par un bénéfice ». Or, comme il est toujours plus plaisant de partager un bénéfice qu’une dépense, propriétaires comme locataires d’entrepôts devraient parvenir à s’entendre. À condition de bien faire les choses.

Des difficultés à prévoir

« Les difficultés qui peuvent survenir se résument à une seule phrase : qui paie ?, prévoit Pierre Orsatti. Par exemple, l’installation de panneaux photovoltaïques est bénéfique pour les deux parties, en diminuant la consommation d’énergie du locataire et en valorisant l’actif du propriétaire. Mais pour d’autres travaux, les éventuels bénéfices sont moins clairs ». De même, dans le cas de baux courts, ou d’un bâtiment ancien et très mal isolé, le locataire pourrait être moins enclin à participer aux travaux.

« Il va y avoir des tiraillements sains sur ces questions, tempère Benoît Dubois-Taine, car il y a des risques inhérents pour les deux parties. Par exemple, celui de la vacance entre deux baux pour les propriétaires, au cours de laquelle personne ne participe aux travaux. Pour le locataire, la variation des prix de l’énergie peut rendre moins intéressant le changement de chaudière, par exemple si le cours du gaz s’effondre ». Pour convaincre les différents acteurs, il faut que ceux-ci gardent en tête qu’une plus grande sobriété du bâtiment ne sera que plus bénéfique, en termes pécuniers comme en matière d’image. Et tout reposera sur la solidité et la transparence des contrats entre les deux parties.

Une nécessaire renégociation du bail

Pour les bâtiments neufs mis sur le marché ou le renouvellement d’un bail entre propriétaire et bailleurs, la répartition des travaux à mener pourra directement être intégré au nouveau contrat. Mais dans le cadre de baux en cours, il sera nécessaire de produire un avenant afin de définir les modalités de financement. « Il est nécessaire de définir très précisément quel sera le partage des coûts et des bénéfices entres locataires et bailleurs, indique Benoît Dubois-Taine. Il faut surtout une définition rigoureuse des modalités de calcul des économies en énergie induites par les travaux, à confier au besoin à un tiers de confiance comme un bureau d’études ».

Pour effectuer ce calcul, il est nécessaire de mettre en place des systèmes permettant un suivi fiable de la consommation énergétique du bâtiment, tels que prévus par le décret BACS publié le 21 juillet 2020, qui oblige, d’ici le 1er janvier 2025, les bâtiments tertiaires à s’équiper de système d’automatisation et de contrôle pour améliorer leur performance énergétique. La mise en place d’outils fiables assortis d’une méthodologie de calcul bien définie pour les deux parties permettra ainsi d’établir un lien de confiance nécessaire entre propriétaires et bailleurs pour répartir au mieux les coûts des travaux. « Ce décret tertiaire est une bonne chose, conclut Benoît Dubois-Taine, car il nous oblige à nous comporter comme des acteurs économiques rationnels, avec une vue à long terme pour réduire les coûts ». Un mantra que propriétaires et locataires d’entrepôts doivent en permanence garder à l’esprit.

Afilog a réalisé avec ses adhérents un travail sur les principes de répartition des actions entre propriétaires et locataires, formalisé dans un document de principes permettant d’orienter le partage des bénéfices et des coûts. Une discussion de ces principes a ensuite été engagée avec le Club Demeter, l’Union TLF et France Supply Chain. Après plusieurs échanges, il ressort un document, ni réglementaire ni opposable, que les quatre organismes ont cosigné lors de la SITL 2024 pour organiser et partager la responsabilité de la performance énergétique des bâtiments. Un bilan d'étape est prévu dans deux ans pour analyser la pertinence de ces principes communs dans la mise en oeuvre du décret tertiaire dans le secteur logistique.

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