Du garage à l’entrepôt, la logistique du livre d’occasion s’organise
Avec le développement des applis de vente en ligne entre particuliers, le secteur des livres de seconde main s’industrialise. Son organisation logistique se professionnalise et passe du garage à l’entrepôt pour faire face à une demande en forte croissance.
888 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est le montant estimé en 2020 par le cabinet Xerfi sur le marché du livre d’occasion, quand celui du neuf culmine à 4,3 milliards d’euros. Les chiffres fiables et récents restent néanmoins difficiles à trouver, du fait de la nature-même de ce secteur, mais tout le monde s’accorde sur un point : il est en pleine croissance. Et le nombre grandissant d’enseignes qui proposent désormais des livres de seconde main, en direct ou via les places de marché, le prouve. Leur succès actuel peut notamment s’expliquer par un contexte économique qui pousse les ménages à dépenser moins, notamment pour leurs produits culturels, mais aussi par la prise de conscience écologique les amenant à s’inscrire dès que possible dans une démarche d’économie circulaire. La croissance des ventes tient également à un accès de plus en plus facile grâce aux plates-formes en ligne déployées par les enseignes. Mais avec des volumes qui augmentent chaque année, la logistique doit s’organiser.
Une activité ancienne...
Pour Gibert Joseph, qui a démarré son activité d’achat-vente de livres d’occasion en 1884, plusieurs canaux sont désormais possibles pour vendre et acheter : en magasin (il y a aujourd’hui 23 points de vente répartis dans toute la France), sur le site Gibert.com et via l’application Gibert « Je vends », disponible sur iOS et Androïd, il est possible de donner une seconde vie à ses lectures. De chez soi, on entre le code EAN du produit sur le site ou on scanne le code barre grâce à son téléphone portable si on passe par l’appli. Un bordereau de cession est édité et doit être imprimé pour être ensuite placé dans le colis. Un bon de livraison est également généré pour être imprimé par le particulier vendeur, qui le colle sur le carton. Ce dernier est ensuite déposé dans un des magasins Gibert Joseph ou déposé en bureau de Poste pour être acheminé vers l’entrepôt de Vitry-sur-Seine, son état contrôlé, pour être mis en vente, sur le site ou en magasin.
De nouveaux acteurs se positionnent
D’autres enseignes sont depuis venues concurrencer le libraire historique de la vente d’occasion. Recyclivre est ainsi créé en 2008. À l’origine, son fondateur, David Lorrain, voulait tout simplement se débarrasser des dizaines d’ouvrages qui encombraient ses rayonnages, sans pour autant les jeter. Aucune structure ne se déplaçant à domicile uniquement pour des livres, il décide de créer une entreprise de collecte et revente de livres d'occasion basée sur trois valeurs : écologie, social et sociétal. Assez rapidement, la quantité de livres devient trop importante pour être stockée dans la seule cave du fondateur. Recyclivre s'associe alors dès 2009 à Log'ins, logisticien faisant partie l’association Ares, groupement d’entreprises et d’associations « tremplins » à but non lucratif, dont la vocation principale est de favoriser le retour à l’emploi de personnes en situation d’exclusion. « Des personnes en situation de handicap s’occupent ainsi de ranger, mettre en stock, mettre sous pli et d’envoyer les ouvrages, explique Mathilde Quinzin, responsable communication de Recyclivre. Notre activité logistique se situe à Villabé dans l’Essonne, à quelques kilomètres de Paris, dans un entrepôt de 6 000 m² (4 500 au sol et 1 500 en mezzanine), parfois partagé avec d’autres entreprises ».
Avant d’arriver dans l’entrepôt, les ouvrages issus de la vente de particulier ont été scannés par ce dernier, pour constituer une vente d’un montant minimum de 10 euros. Il aura imprimé l’étiquette de transport et déposé le colis préparé dans un point relais pour une expédition groupée à Villabé. 1,2 million de livres d’occasion, issus de la vente par des particuliers mais aussi de dons y sont stockés en vrac. « Quand ils arrivent dans l’entrepôt, les livres dont la qualité n’a pas été vérifiée dans un de nos ateliers qui a reçu des dons, sont inspectés et triés selon leur état, explique Mathilde Quinzin. Ils sont ensuite déposés dans n’importe quel rayonnage. Enregistrés dans notre outil « Bilberry » développé en interne, avec leur code et leur emplacement, ils peuvent ensuite être retrouvés facilement lorsqu’ils sont commandés ». Les livres sont ensuite empilés dans deux types de caisses : celle pour les clients qui n’ont acheté qu’un seul livre, et celle pour ceux qui en ont choisi plusieurs. 4 000 livres sont ainsi expédiés chaque jour. L’enseigne a annoncé par ailleurs en 2018 l’ouverture d’une antenne en Espagne, dédiée au marché local.
Une logistique qui se rode
Dernière née française, La Bourse aux Livres a fait son apparition sur le marché du livre d’occasion en 2019 avec le constat que chaque année, 142 millions de livres sont détruits, alors qu’ils pouvaient encore être lus... Créée par deux étudiants de l’IESEG, l’enseigne se concentrait à ses débuts sur la revente de livres scolaires d’occasion sur le seul périmètre de l’école de commerce lilloise. « Face au succès de notre solution, nous avons démarché d’autres écoles, pour ensuite nous développer auprès du grand public, raconte Tom Castano, son co-fondateur avec Dorian Lovera. Dans un premier temps, nous stockions les ouvrages dans un bureau de l’incubateur de l’IESEG, où nous préparions 50 à 60 colis à expédier chaque jour, qu’un transporteur venait chercher ». Aujourd’hui, après une levée de fonds d’un million d’euros en 2021, le stockage de La Bourse aux Livres est géré par Dispéo, dans un entrepôt à Beauvais. La vente par les particuliers se passe de la même façon que pour Gibert Joseph ou Recyclivre : le vendeur particulier scanne ses ouvrages, jusqu’à atteindre un montant minimum, imprime un bordereau d’expédition et dépose son colis dans un point relais. « Nos partenaires logistiques utilisent les mêmes véhicules pour la livraison et la collecte pour éviter de les faire rouler à vide », précise Tom Castano, qui assure avoir aujourd’hui atteint un niveau de chiffre d’affaires lui permettant de rêver à l’international. « Notre ambition est d’ouvrir un entrepôt consolidé sur chaque continent où nous serons présent ».
Concurrence européenne
Sur un marché à fort potentiel de croissance comme celui de l’occasion, de nouveaux acteurs se positionnent. L’allemand momox a ainsi ouvert son site français en 2011, après un démarrage en Allemagne en 2004. Fonctionnant également avec un site Internet et une appli, le particulier procède de la même façon que pour les autres enseignes pour vendre ses livres. « momox s’appuie sur deux sites logistiques, détaille Heiner Kroke, son CEO. L’un se situe en Pologne, à Szezecin. D’une surface de 22 000 m², il est dédié au contrôle qualité et à l’authentification des produits culturels et articles de mode rachetés aux particuliers. C’est là que sont réceptionnés les colis envoyés par les vendeurs via les points relais et La Poste. Ils sont ensuite expédiés sur notre 2e site, à Leipzig, en Allemagne ». Ce dernier, de 100 000 m², abrite plus de 14 millions de livres et d’articles culturels, et également des articles de mode. 50 000 articles y sont réceptionnés chaque jour en attendant d’être envoyés à leurs prochains propriétaires. Selon une étude récente de momox, qui achète et vend aussi des articles de mode de seconde main, « 86% des Français ont déjà acheté un article d’occasion, tandis que 82% en ont déjà vendu. Et pour 58% des répondants, consommer de seconde main est devenu un véritable réflexe ».