Fluidifier la "manne" de la friche grâce au dispositif du tiers demandeur
La reconversion des friches industrielles permet de libérer du foncier et d’aménager durablement les territoires. Mais elle apparaît aussi, parfois, comme un défi juridique pour les porteurs de projet. Encore peu utilisé, le dispositif du tiers demandeur, créé en 2014 et mis à jour dans la loi industrie verte en 2023, vient pourtant fluidifier, et sécuriser, les relations entre vendeur et acquéreur.
La friche a de quoi séduire. Dans un contexte de raréfaction du foncier et de politique environnementale qui se durcit, elle se présente en effet comme le terrain de jeu idéal pour les acteurs de l’immobilier logistique en recherche de foncier. Mais si l’objectif de réhabiliter des zones abandonnées apparaît comme une évidence, sa mise en œuvre peut s’avérer complexe. Le dispositif du tiers demandeur, ambitionne donc de fluidifier ce marché. En effet, « il s’inscrit dans la volonté de libérer du foncier, de favoriser la reconversion des friches et des sites industriels et devait permettre de « débloquer » une ressource foncière considérable, explique Maître Juliette Bril, Avocat à la Cour et associée du cabinet Fairway. Ce nouvel acteur dans la gestion des sols pollués s’est fait une place dans le Code de l’environnement à l’article L. 512-21 par la loi ALUR du 24 mars 2014 ».
Faire préférer la vente plutôt que le gel des sites inusités
Avant cette disposition juridique, le dernier exploitant d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) restait tenu, lors de la cessation d’activité, de remettre le site en l’état en fonction d’un usage déterminé par les dispositions du Code de l’environnement. La charge financière de cette remise en état est soumise à une prescription trentenaire à partir de la date à laquelle la cessation d’activité de l’ICPE a été portée à la connaissance de l’administration (CE 8 juillet 2005, n° 247976). « Dans l’hypothèse où les dangers pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques auraient été dissimulés, l’État peut prescrire à tout moment – même au-delà de la prescription trentenaire – des mesures de remise en état, précise Eric Hervy, notaire associé au sein de l’étude Cheuvreux. Cette prescription, ne pouvant être écartée par les dispositifs classiques d’exclusion ou de partage de responsabilité dans le cadre de contrat de droit privé, entraîne la crainte de certains exploitants de voir leur responsabilité engagée. Ils préfèrent alors parfois « geler » le site plutôt que de le valoriser ».
Avantages pour les deux parties
Le dispositif du tiers demandeur a donc pour objectif de débloquer cette situation. Pour celui qui vend, il n’a plus l’obligation de réhabiliter le terrain en fonction de l’usage futur. Lors de la mise à l’arrêt définitif de l’installation, un tiers intéressé peut demander au représentant de l’État de se substituer à l’exploitant, avec son accord, afin de réaliser les travaux de réhabilitation en fonction de l’usage que ce tiers envisage pour le terrain concerné. Pour l’acquéreur, c’est un gain de temps car la procédure permet d’engager directement la réhabilitation du site sur lequel était exploitée l’ICPE vers l’usage souhaité par le tiers sans passer par une remise en état préalable en fonction de l’usage défini dans les conditions du Code de l’environnement qui s’impose au dernier exploitant. « De plus, il garde la main sur la remise en état et peut ainsi être certain qu’elle sera compatible avec son projet, précise Maître Juliette Bril. En outre, cela lui donne un argument supplémentaire pour négocier à la baisse le prix de la transaction... » Mais attention : cette procédure n’est possible qui si la cessation d’activité n’a pas encore été faite, préviennent Eric Hervy et Juliette Bril, et le tiers demandeur doit disposer de capacités techniques suffisantes et de garanties financières couvrant la réalisation des travaux. « Par ailleurs, jusqu’alors, en cas de défaillance du tiers demandeur et de l’impossibilité de mettre en œuvre lesdites garanties, le dernier exploitant devait mettre en œuvre la réhabilitation pour l’usage défini dans les conditions fixées au Code de l’environnement ». La loi industrie verte de 2023 vient de lever ce potentiel frein, avec plusieurs modifications au code de l’environnement.
Des modifications bienvenues pour booster le dispositif
10 ans après sa mise en place, le dispositif du tiers demandeur n’a en effet pas rencontré le succès auquel on pouvait s’attendre, sans doute en raison de ce manque de visibilité pour l’exploitant. L’évolution de l’article L 512-21 du code de l’environnement dans la loi industrie verte devrait permettre d’en faciliter et sécuriser l’usage. « En cas de défaillance du tiers demandeur et de l’impossibilité de mettre en œuvre les garanties financières, le dernier exploitant sera désormais uniquement responsable de la mise en sécurité du site et non plus de la réhabilitation du site, se réjouit Eric Hervy. Cette modification est à souligner puisqu’elle devrait permettre de convaincre les exploitants réticents en supprimant le risque de devoir réaliser la remise en état, souvent coûteuse ». Parmi les autres évolutions substantielles du code, on peut voir que, désormais, le tiers intéressé pourra demander au représentant de l’État dans le département de se substituer à l’exploitant, dès la notification de cessation d’activité et non plus à compter de la réalisation de la mise en sécurité, comme auparavant. Il pourra également réaliser une demande de substitution à l’exploitant concernant tout ou partie des mesures de mise en sécurité du site et non plus seulement concernant la réhabilitation.
Un cas concret à l’origine du dispositif
Marc Kaszynski, président du Lifti (Laboratoire d’Initiatives Foncières et Territoriales Innovantes) et ex- directeur de l’établissement public foncier (EPF) du Nord-Pas-de-Calais espère ainsi que le dispositif du tiers demandeur se fasse désormais mieux connaître. Il en a connu les débuts et sait à quel point il pourrait permettre une plus grande fluidité foncière. « Un dossier de reconversion en particulier, ouvert dans les années 2000, a été le déclencheur pour la mise en place de cette procédure du tiers demandeur », se souvient-il. Durant les années 1980, et faisant suite à plusieurs lois de décentralisation, les régions se voient confier des missions d’aménagement du territoire, à travers, notamment, la requalification de friches industrielles. Déjà rendue difficile du fait de l’ampleur des chantiers, la reconversion des friches en France s’est parfois heurtée à des projets plus difficiles que d’autres. Cela a été le cas par exemple de la friche de PCUK, à Watreloos Leers, dans le Nord. Après la cessation administrative des activités à l’origine des pollutions par l’exploitant et sa liquidation judiciaire en 1976, le site a été repris par Rhône-Poulenc Chimie en 1983 pour engager la fermeture du site à la demande de l’État en 1983. Dans l’idée d’assurer la reconversion industrielle, le site est morcelé au début des années 1990. « Quand Pierre Mauroy, alors président de la Communauté Urbaine de Lille Métropole, décide en 2003 une reprise du site après requalification, en synergie avec l’opération de remise à la navigabilité de plaisance du Canal de Roubaix, l’imbroglio foncier était tel qu’il fallait trouver une solution exceptionnelle, détaille Marc Kaszynski. L’EPF du Nord-Pas-de-Calais a donc été désigné par arrêté préfectoral pour réaliser les travaux en tant que porteur foncier temporaire ». Alors qu’il n’était pas l’exploitant, l’EPF a donc pu prendre à sa charge la réhabilitation du site. Il a donc ainsi été le premier tiers demandeur de l’histoire et a aidé à construire les dispositions de la loi ALUR de 2014.