ICPE, IGH et ERP… La BnF, un entrepôt urbain (presque) comme les autres
En 1995 était inaugurée l’une des plus grandes bibliothèques du monde : la Bibliothèque François Mitterand. 58 000 m² de stockage en plein Paris, sur les bords de Seine, et qui sont aujourd’hui complets, malgré la rénovation du site de Richelieu, berceau historique de la BnF. Loin d’être une surprise pour ses équipes, cette saturation, inexorable, a été anticipée et un nouveau bâtiment verra le jour en 2029, à Amiens.
« Pour la Bibliothèque nationale de France, la saturation est une fatalité, explique Cheng Pei, chef de projet à la BnF. Comme l’avait déjà annoncé Julien Cain, ancien administrateur général, la BnF doit prendre une large avance sur une saturation toujours à prévoir ». La BnF a en effet une mission de collecte, d’archivage et d’entretien (conservation, restauration), en particulier de tout ce qui se publie ou s'édite en France et arrive à la BnF par dépôt légal, ainsi que du patrimoine hérité des collections antérieures constituées depuis le Moyen,-Âge et reçu par d'autres voies (dons, legs, achats). Autrement dit, ce qui y entre, ne doit plus en sortir. En conséquence, l’institution se retrouve face à un éternel manque de place.
Une des bibliothèques les plus grandes du monde
Le berceau historique de la BnF situé rue de Richelieu, dans le 2e arrondissement de Paris a ainsi été agrandi plusieurs fois, avant d’être soutenu par de nouveaux sites : à l’Arsenal, à l’Opéra, à Bussy-Saint-George et à Sablé-sur-Sarthe. À la fin des années 1970, une partie des collections iront également à Avignon, dans la maison Jean Vilar. Achevé en 1995, un nouveau lieu est aussi construit à Tolbiac, sur le quai Mauriac dans le 13e arrondissement de Paris. Autour d’un socle, qui constitue l’esplanade et qui accueille les 2/3 des collections, quatre grandes tours de verre de 7 étages représentant quatre livres ouverts, se dressent sur les bords de Seine sur un terrain de 7,5 hectares. Baptisé Bibliothèque François Mitterand à son inauguration, le siège de la BnF abrite 13,3 millions de documents, dont plus de 12 millions d'imprimés et plus d'un million de documents audiovisuels, occupant 385 kilomètres de linéaires. Au total, ce sont 365 000 m², dont 160 000 m² de surface utile répartis en magasin de stockage (58 000 m²), en espaces ouverts au public (55 000 m²), en 14 salles de lecture (40 000 m²) et en bureaux (16 000 m²). Elle est aujourd’hui la plus importante de France et l’une des plus grandes au monde.
Tous les sites de la BnF sont des ICPE
« Le site de Tolbiac, comme les autres sites de la BnF, est une ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement), rappelle Yannick Hubert, directeur des moyens techniques à la BnF. Il est constitué de quatre IGH (Immeuble Grande Hauteur), qui, de plus, s’interpénètrent dans un établissement recevant du public (ERP). En découle une réglementation incendie très contraignante, puisqu’il y a, en plus de ces particularités, un stockage précieux, des trésors nationaux, à protéger ». Chaque étage des quatre tours contient deux magasins, l’un de 200 m² et l’autre de 300, équipés de sprinklers à double détente et alimentés en eau en permanence. « Les magasins sont effet divisés par collection, et pour des raisons de sûreté, leur taille est volontairement restreinte. Seules les personnes habilitées ont le droit d’y pénétrer, précise Yannick Hubert. Il y a par ailleurs un réseau de nacelles automatisées qui court sur 8 kilomètres à travers tous les immeubles de la BnF pour acheminer les documents depuis le magasin où ils sont stockés, vers le lecteur qui a demandé à le consulter ». Outre les portes coupe-feux, des Pompiers de Paris sont à demeure sur le site de Tolbiac, « pour protéger du feu mais aussi de l’eau !, rappelle le directeur de moyens techniques. Une vanne qui saute et cela peut être 25 000 ouvrages inestimables endommagés d’un seul coup ».
À Amiens, bientôt un grand magasin de stockage robotisé
Après les multiples extensions qui marquèrent, entre le XVIIIe et la première moitié du XXe siècle, l’histoire du site Richelieu, et après la naissance de la Bibliothèque François-Mitterrand à la fin du siècle dernier, la BnF sait qu’elle doit à nouveau trouver un nouveau site. « 86 % des rayonnages de la Bibliothèque François Mitterand sont déjà pleins. Nous estimons que les entrées de collections, en particulier par dépôt légal, croissent au rythme de 4 à 6 kilomètres linéaires par an, avec l’arrivée de plus en plus massive des collections imprimées mais aussi de nouveaux supports, comme les œuvres photographiques et phonographiques, les œuvres audiovisuelles puis informatiques et numériques », détaille Cheng Pei, qui a par ailleurs piloté la rénovation du site de Richelieu, de nouveau complètement ouvert depuis 2022 après 10 de travaux. Il est dorénavant le directeur du projet du nouveau pôle d’Amiens regroupant le Conservatoire national de la presse et un centre de conservation pour certaines collections de la BnF, et qui ouvrira ses portes à la fin de 2029.
« Pour que soit assurée la plus grande densité de stockage possible, le nouveau bâtiment aura la particularité d’avoir une hauteur de 23 mètres sous plafond, d’être entièrement robotisé et à oxygène raréfié, décrit Cheng Pei. Il sera, de plus, sans climatisation active, en phase avec le contexte actuel de réduction de l’impact sur l’environnement ». 280 kilomètres de linéaires prendront place sur ce site comptant 6 000 m² de surface utile, sur un terrain de 3,5 hectares, potentiellement extensible. « Nous savons déjà que dans 30 ans, il nous faudra trouver plus de place... ». Or, ces projets prennent du temps. L’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) avait en effet été lancé en 2020. En 2021, la ville d’Amiens est désignée lauréate. En 2024, les architectes sont choisis (TVK & Carmody Groarke). Les travaux démarreront en 2026 et la mise en service du pôle est prévu pour la fin de 2029.
Repenser l’ordonnancement
L’ouverture du nouveau site à Amiens amène par ailleurs à repenser l’ordonnancement des collections nationales. Sur les deux grands sites parisiens que sont Richelieu et Tolbiac, on trouvera les collections les plus demandées. À Amiens, sera conservée la mémoire de la presse française, journaux comme photos, et des collections moins demandées par les étudiants et les chercheurs. Des ateliers seront aussi installés pour réaliser tous les traitements nécessaires à la conservation du patrimoine national, qu’il s’agisse de restauration ou de numérisation. « Nous avons également prévu des navettes pour des demandes parisiennes de documents conservés à Amiens, précise Cheng Pei. Nous anticipons environ 300 demandes quotidiennes entre les sites parisiens et Amiens ». Car si la fonction première de la BnF est le stock (la conservation), les flux (la diffusion de la connaissance) font aussi partie de son socle.