La logistique de chantier se repense doucement en centre-ville
Entre la loi Agec, qui impose une plus grande traçabilité sur les chantiers pour mieux gérer les déchets, et la volonté de réduire son empreinte carbone, le secteur du BTP professionnalise sa logistique et entame progressivement sa mue digitale.
Les métiers de la logistique ne faisaient jusqu’alors pas ou peu partie des entreprises du BTP. « Nous n’avons créé une Business Unit Logistique qu’en 2019, témoigne Clément Bouygues, directeur d’exploitation « territoire ouest » de Colas France, entreprise de BTP, spécialisée dans la construction routière. Suite à l’analyse d’un cabinet de conseil, nous avons en effet compris qu’avec nos 600 millions de chiffre d’affaires liés au transport et nos 2 600 cartes grises, nous plaçant comme 7e transporteur français, nous devions professionnaliser ce métier au sein de l’entreprise ». Colas France est ainsi devenu le client de sa Business Unit Logistique, qui s’occupe d’organiser tous les flux de matériaux et de déchets sur les chantiers. « Avant la création de cette entité transverse, nous avions des « dispatcheurs » qui géraient les livraisons chantier par chantier, en silo. Ils ont été remplacés par des logisticiens qui cherchent à rationaliser les trajets en les optimisant et en coordonnant les livraisons entre plusieurs chantiers ».
La digitalisation des métiers de la logistique de chantier
La loi Agec (Anti-gaspillage pour une Économie Circulaire), datant de 2020, impose par ailleurs aux entreprises du BTP de mettre leur logistique à l’heure du numérique pour mieux tracer les flux amont et aval des chantiers. En effet, impossible d’échapper à la digitalisation pour assurer la traçabilité nécessaire au respect de cette loi, qui fait la chasse aux dépôts sauvages et contraint toutes les entreprises, quel que soit leur secteur, à collecter et trier les déchets liés à leur activité. « Le principal enjeu du secteur est lié à la reconstruction de la ville sur la ville, assure Valentin Vrain, directeur du développement chez Medinger, acteur indépendant de travaux public en Île-de-France. La question est devenue prégnante lors des travaux du Grand Paris Express : que faire des terres extraites pour la construction des tunneliers ? L’État, responsable, a besoin de savoir où est dirigé chaque mètre cube. La terre extraite doit être pesée, sa qualité inspectée, avant d’être expédiée dans des lieux qui enregistreront sa réception et assureront son stockage, avec une traçabilité parfaite ».
Peu d’outils adaptés disponibles sur le marché
Pour autant, il est difficile pour ces entreprises du BTP de trouver des outils numériques adaptés à leurs problématiques métier. Medinger a donc dû développer une application en interne pour enregistrer les flux amont avec le chef de chantier, qui doit valider la bonne réception des matériaux. La terre n’est bien sûr pas la seule concernée par ces nouveaux process. « Le principe est le même pour les autres matériaux, puisque 70 à 85 % des déchets produits, c’est à dire tout ce qui n’est pas consommé sur le chantier, sont revalorisés ». Les outils numériques permettraient également de mieux ordonnancer les flux sur les chantiers, de planifier les livraisons selon les besoins, d’avoir une visibilité sur ce qui va être adressé au chantier. « Notre outil nous permet d’organiser la logistique avec les chefs de chantiers mais aussi avec les fournisseurs, complète Valentin Vrain. C’est indispensable puisque nous gérons 45 sites de chantier chaque jour ! ».
Comme Medinger, et bien d’autres entreprises du secteur, Colas France a également entamé cette démarche. « Nous avons développé un outil en interne, explique Clément Bouygues. Aujourd’hui, 20 d’entre eux utilisent cette appli, et nous comptons la déployer à une cinquantaine d’ici 3 ans. L’objectif est d’optimiser nos flottes, d’assurer une bonne traçabilité sur les chantiers, ainsi que de suivre leur gestion contractuelle ».
Réduire l’empreinte carbone du transport
La recherche de l’excellence opérationnelle n’est pas le seul objectif visé par la digitalisation des métiers du BTP. Leur RSE en bénéficie en effet également. « En nous permettant de rationaliser les besoins de notre client, Colas France, en optimisant les flux et en limitant par conséquent le nombre de véhicules sur les routes, la digitalisation est un levier évident pour réduire notre empreinte carbone, confirme Clément Bouygues. Avec les 2 600 cartes de grise à notre compteur, l’analyse et l’optimisation du transport est aujourd’hui le fer de lance de notre stratégie RSE ». L’entreprise s’est ainsi donné pour objectif une réduction de 46 % des émissions de gaz à effet de serre de ses flux de transport, entre 2019 et 2030. Outre la digitalisation, Colas France a donc par ailleurs entamé la conversion de son parc poids lourds au BioCarburant (60 % de la flotte à date) et celle d’une partie de sa flotte de véhicules légers vers l’électrification. « Nous avons anticipé la mise en place des ZFE, (que certaines agglomérations vont maintenir, malgré leur suppression décidée à l’Assemblée Nationale en juin dernier, ndlr), mais, de toute façon, il n’y aura pas d’électrification complète de notre parc, notamment sur nos poids lourds, pour des raisons techniques (manque de production et manque d’autonomie) et du fait du coût de ces véhicules ».

L’économie circulaire, cet autre levier de transition écologique
Autre mutation ayant un impact sur la logistique de chantier, le réemploi de matériaux issus de la déconstruction ou de chantiers en cours se fait progressivement une place au sein des organisations du BTP. L’utilisation de matériaux recyclés nécessite en effet la mise en place de nouveaux circuits logistiques et lieux de stockage. « En 2022, nous avons lancé un réseau de plateformes d’accueil de déchets inertes ou non dangereux, baptisées Valormat et Ecotri, avec pour objectif d’augmenter de 50% notre production de matériaux recyclés d’ici à 2026, détaille Clément Bouygues. En 2025, nous accélérons également le déploiement de la marketplace Rockease (acquise par Colas en 2023), afin de favoriser l’acte d’achat des granulats en tenant compte, entre autres, de l’impact CO2, par toutes les entreprises ».
Un guide des bonnes pratiques
Par ailleurs, au sein de la Fabrique de la Logistique, qui se veut lieu d’innovation environnementale et technologique au service des acteurs de la logistique et dont le rôle est d’observer et de partager les expériences réussies de logistique, une « communauté » dédiée à la logistique de chantiers a été créé il y a 5 ans afin d’orienter les professionnels vers plus d’efficience et de décarbonation. « Avec la contribution d’acteurs majeurs de la construction, de collectivités, de logisticiens spécialisés, d’universitaires, la Fabrique de la Logistique a commencé à écrire un guide des bonnes pratiques de la logistique de chantiers portant sur les principales préoccupations de la profession », annonce Jérôme Rouge, spécialiste en logistique de chantiers chez Balme Conseil, et président de la Fabrique de la Logistique, association soutenue par l’Ademe et l’AIT (Agence de l’Innovation pour les Transports), et animateur de la communauté « Logistique de chantiers ».
Améliorer les relations avec les riverains
Le premier chapitre de ce document, publié en juillet dernier, est consacré aux relations avec les riverains, qui mériteraient selon certains, d’être améliorées. « Le sujet est d’autant plus sensible aujourd’hui qu’il y a les réseaux sociaux où chacun peut faire remonter ses critiques au vu et su de tous, explique Jérôme Rouge. Les principaux concernés sont sans doute les élus qui cherchent à apporter des réponses concrètes à leurs électeurs ». Selon lui, l’une des pistes d’amélioration repose sur l’anticipation et la communication avec les riverains. « Sur le chantier de la Part Dieu, à Lyon, nous avons mis en place un outil, Qievo, de planification et de régulation des flux logistiques, dédié aux chantiers urbains, explique Clément Bouygues. L’idée est de limiter les externalités négatives pour les riverains, les acteurs du chantier et les collectivités locales en organisant au mieux les plannings de chacun, notamment pour le stationnement et la circulation des véhicules ».
Des centres de consolidation pour optimiser les flux ?
La Fabrique de la logistique observe également avec attention la mise en place de Centres de Consolidation de la Construction (CCC) pour une mutualisation des matériaux neufs à livrer, ainsi que ceux récupérés sur d’autres chantiers et qui pourront être réemployés. Les besoins entre deux chantiers ne sont pas nécessairement simultanés et les surfaces de stockage sont généralement limitées. « Cette solution est d’autant plus intéressante que le nombre d’entreprises travaillant sur un chantier peut être important », commente Jérôme Rouge, qui donne l’exemple d’un CCC à Londres proposant du kitting et de la logistique en cross-docking, réunissant plusieurs entreprises du BTP autour d’un même chantier. « La même expérience est menée sur la ZAC Saint-Vincent-de-Paul, sur le site d’un ancien hôpital dans le XIVe arrondissement de Paris ». Cette organisation permet par ailleurs un meilleur remplissage des camions, et limite donc leur nombre en circulation dans les rues des villes. Cette expérience reste pour l’instant anecdotique, mais montre que le secteur de la logistique cherche et innove, sur plusieurs chantiers à la fois…