Territoires

La logistique change, l’architecture des entrepôts aussi !

12 oct. 2022
Lecture : 6 minutes

Plus performants, plus durables mais aussi plus esthétiques : les récents projets d’entrepôts logistiques incarnent les enjeux de notre époque. Une rupture que l’on doit notamment à l’engagement de professionnels de l’architecture déterminés à casser le cliché du hangar gris et sans âme d’antan.

A26 Chapelle Int Facade Ouest Photo Ca26 Architectes
L’hôtel logistique urbain Chapelle International (©A26 Architectes)

Quand je serai grand, je voudrai dessiner des entrepôts ! Soyons francs, ces dernières décennies, peu de jeunes diplômés des écoles d’architecture s’orientaient prioritairement vers les cabinets spécialisés dans la conception d’entrepôts. Une situation qui pourrait bientôt changer. Face à la forte activité du secteur depuis la crise sanitaire, et aussi la volonté de la filière de porter un nouveau modèle exemplaire, l’immobilier logistique dispose aujourd’hui de solides arguments pour séduire les jeunes professionnels.

« Nous avons besoin de créativité ! L’architecture a été trop longtemps négligée dans les zones commerciales et industrielles explique Hervé Paillard, Associé-fondateur et Architecte au sein de l’agence Atelier M3. Qu’il s’agisse d’environnement, d’aménagement du territoire, de politiques urbaines ou de relocalisation, l’architecture industrielle est au cœur des enjeux de société. C’est un challenge passionnant pour la nouvelle génération d’architectes. » Malgré les contraintes techniques (réglementations incendie, normes, accessibilité…), les concepteurs d’espaces logistiques disposent d’ailleurs souvent d’une plus grande liberté architecturale (matériaux, couleurs, volumes…) que lors de la construction et la rénovation de logements ou de bâtiments tertiaires au cœur des villes.

Architecture des entrepôts : une décennie d’évolution

Pour mieux comprendre cette nouvelle donne, un rapide coup d'œil dans le rétro s’impose. Jusqu’au début des années 2000, le marché français de la logistique était assez fermé. Par exemple, La Poste disposait encore du monopole pour l’envoi de petits colis. Avec la dérégulation, de nombreux acteurs ont tenté de s'implanter en changeant les codes du secteur et donc l'architecture des bâtiments. L’entrepôt logistique s’est ainsi transformé, à la fois dans ses mensurations et aussi dans ses procédés, avec notamment l’intégration de technologies d’automatisation (robots, chaînes automatiques…).

« L’immobilier logistique a connu trois évolutions majeures durant la dernière décennie, explique Jean-Pierre Madelaine, Gérant d’Archi-Factory. L'entrepôt a d'abord changé de dimensions. Il a gagné en hauteur libre pour atteindre plus de 11 mètres, voire 12 mètres et plus aujourd’hui, contre 10 en moyenne auparavant. Il s'est aussi, pour mieux optimisé les flux, étendu avec la multiplication de grandes plateformes XXL pouvant dépasser les 100 000 mètres carrés. La seconde grande évolution a été la mécanisation et l'intégration aujourd'hui presque systématique de process en amont dans la conception. Enfin, depuis quelques années, l'entrepôt s'est déployé sur plusieurs étages afin de répondre à des enjeux comme la raréfaction du foncier, le développement de logistique urbaine ou le zéro artificialisation. » Symbole de cette mutation : le nouvel entrepôt de Vailog Segro à Gennevilliers qui se présente sous la forme d’un immeuble sur deux niveaux (32 000 m² par étage) articulé autour d’une rampe d'accès de 120 mètres. 

Des entrepôts toujours plus écologiques

Bien sûr, ces évolutions ont notamment été guidées par la montée en puissance des enjeux environnementaux et sociétaux au sein de la filière ; à l’image de la charte d’engagements réciproques signée - en juillet 2021 - entre Afilog et le gouvernement qui a permis de formaliser un certain nombre de bonnes pratiques en matière de performance environnementale et économique de l’immobilier logistique française. « La sensibilité des maîtres d'ouvrage s'est largement accrue sur ces sujets ces dernières années, notamment en raison du poids de plus en plus important de la politique RSE, témoigne Jean-Pierre Madelaine. Il y a d’abord eu la création d’habitats pour la biodiversité sur les espaces logistiques à travers la conception de ruches, de mares ou d’hôtels à insectes. Puis l’intégration de panneaux photovoltaïques en toiture. Aujourd’hui l’enjeu écologique est encore plus grand avec le défi de la réhabilitation des friches qui permet de redonner à la nature une partie des espaces renouvelés. »

Sur le terrain, l’architecture peut également aider les entrepôts à s’intégrer dans leur environnement. Et donc à ne plus être perçus comme des ensembles hors-sol. « Un entrepôt bien conçu va créer son propre paysage et sa propre relation avec l’environnement qui l'entoure. En tant qu’architecte, nous devons donc être attentifs à connecter nos bâtiments avec les forêts, les cours d'eau ou les espaces environnants, estime Hervé Paillard. Ces grands entrepôts peuvent également parfois servir leur écosystème. A l'image de ceux construits le long des routes qui vont constituer une protection phonique pour les quartiers environnants. » Le nouveau site de stockage distribution de 100.000 m² de Monoprix à Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne) figure parmi les exemples récents de bonne intégration environnementale et paysagère. Conçu par Prologis, ce projet inauguré en 2021 se présente comme la « première plateforme logistique carbone neutre au monde ».

Favoriser le bien-être et l’efficacité des collaborateurs

Enfin, à l’image du mouvement en cours dans le tertiaire, le monde de l’immobilier logistique veille de plus en plus au bien-être de ses occupants. Avec une difficulté supplémentaire puisque ces espaces mêlent souvent plusieurs activités et métiers (manutention, transports, administration…) sur un même lieu. « Faire un bâtiment dans lequel on est heureux d’habiter ou de travailler, c'est la raison d'être d'un architecte, l’immobilier logistique ne doit pas faire exception à cette règle, affirme Hervé Paillard. Dans un entrepôt, cette recherche de bien-être passe notamment par l’usage optimal de la lumière naturelle, la création de zones de convivialité ou l’aménagement d’espaces extérieurs végétalisés. Notre défi consiste à donner envie aux gens de venir chaque jour au travail avec le sourire. » À condition bien sûr que le management de l’entreprise utilisatrice poursuive les ambitions de l’architecte.

Agile, vertueux et heureux, voici donc à quoi ressemblerait le triptyque de l’entrepôt idéal du futur ? À priori oui, même si rien n’est écrit d’avance. « La logistique est un secteur qui évolue rapidement, c’est donc toujours difficile d'avoir une position prospective. Cela dit, on peut effectivement imaginer que d’ici quelques années, les entrepôts se composeront de trois ou quatre niveaux, qu’ils seront desservis par des camions électriques ou hydrogènes, et surtout qu’ils proposeront une mixité d’usage afin de faire le lien entre logistique et industrie. Tout dépendra du contexte économique. Il faudra trouver la bonne formule pour rentabiliser de tels projets », conclut Jean-Pierre Madelaine. Une chose est sûre : le secteur de l’immobilier logistique pourra compter sur les architectes pour imaginer des entrepôts toujours plus innovants et vertueux.


Trois questions à Philippe Gallois, co-fondateur de A.26

Comment l’architecture des entrepôts a-t-elle évolué au cours des dernières années pour améliorer leur intégration dans le paysage ?

Aujourd’hui, 95 % des projets sont travaillés pour s’insérer dans le paysage. Cela passe notamment par la hauteur. Nous avons commencé à étudier ce sujet il y a huit ans après avoir gagné le concours architectural de Chapelle International dans le 18e arrondissement de Paris. Le PLU ne nous permettant pas de construire en hauteur à cause de la proximité de la Basilique du Sacré Cœur, nous avons travaillé sur plusieurs niveaux en sous-sol et développé un hôtel logistique urbain qui fait référence en matière d’intégration dans son environnement.

Et aujourd’hui ?

L’immobilier logistique est aujourd’hui mûr pour réaliser des entrepôts en hauteur : la plateforme Paris Air2 Logistique conçue par Vailog et utilisée par Leroy Merlin et Ikea sur le port de Gennevilliers, l’hôtel logistique urbain développée par Sogaris avec Chartier Dalix Architectes, le projet de 90 000 m2 que nous avons conçu pour Goodman sur quatre niveaux à Gennevilliers… L’esthétique des entrepôts a également radicalement changé. Les grands investisseurs et utilisateurs se sont dotés de véritables chartes graphiques et leurs bâtiments reprennent ces codes. Certaines toitures sont également animées avec des terrains de sport ou des fermes urbaines qui côtoient les installations photovoltaïques. Enfin, le paysage situé à proximité immédiate des plateformes fait l’objet d’une attention particulière avec beaucoup de merlons, d’arbres…

Quels sont les nouveaux matériaux utilisés pour l’architecture des entrepôts ?

Des matériaux plus nobles sont utilisés, à l’image des bétons texturés que nous déployons sur des bâtiments du parc des Aguilles près de Marseille pour Barjane, de la brique et du zinc sur Chapelle International ou encore d’une résille métallique qui vient habiller, en deuxième peau, les volumes du projet de Goodman à Gennevilliers. L’intérieur de certains bâtiments est également plus soigné, avec notamment du bois au niveau des charpentes. Les architectes spécialisés en immobilier logistique comme A.26 font preuve de créativité tout en étant pragmatiques pour respecter l’équation économique des opérations. 

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