La logistique, un maillon fort pour Petit Bateau
Quand on œuvre dans un secteur en crise, comme c’est le cas pour Petit Bateau avec la mode, l’optimisation amont devient encore plus importante. La marque française a su complètement réinventer son modèle logistique pour en faire un outil très efficace. Explications.
Petit Bateau peut dire merci à Oscar. Oscar qui ? Oscar n’est pas un être humain. Oscar, pour Objectifs Service Client avec Agilité et Réactivité, est l’outil qui a permis à PetitBateau de se remettre à flot, grâce à un changement de modèle dans lequel la logistique occupe une place importante. C’est bien simple : sur un marché du textile-habillement en décroissance depuis plus de quinze ans, le spécialiste de la mode pour enfants, qui a célébré ses 130 ans en cette année 2023, s’en sort admirablement bien. Depuis 2019, son chiffre d’affaires est en progression de 2%, pour atterrir aux alentours de 280/290 millions d’euros, quand le marché, lui, dévissait de 7% en moyenne.
Ce succès, Petit Bateau le doit à un immense chantier de transformation de son modèle logistique, initié dès avant la crise du Covid. C’est donc ce fameux projet Oscar, mis en place avec l’aide de Futur Master, éditeur de logiciel français spécialisé dans l’optimisation de la supply chain.
En finir avec un modèle qui a fait son temps
A la base du projet, un constat très simple, presque brutal, comme en témoignait celui qui était alors le DSI de Petit Bateau, Jean-Philippe Gauthier, dans un webinaire organisé conjointement par la marque française et son partenaire Futur Master : « Petit Bateau doit s’adapter à un marché en décroissance. » Sous-entendu : en décroissance structurelle… On entend par là que le modèle qui fit le succès de la mode dans le monde, depuis les années 1990, axé sur la fast-fashion, arrive à son terme. Commercialement, cette fast-fashion suppose un renouvellement ultra-rapide des collections, avec l’arrivée chaque semaine de nouveautés en magasins et en ligne. Industriellement, c’est le règne de la massification des volumes à outrance pour produire très vite partout la même chose, au prix le plus bas possible.
L’ensemble fonctionnait à merveille. Mais, car il y avait un mais, cela ne supportait aucun grain de sable. Or, dès la fin des années 2010, Petit Bateau, justement, a vu poindre ce grain de sable. « Courant 2019, alors que l’entreprise commençait à subir un tassement de ses ventes et un gonflement de ses stocks, l’idée de mettre en place une dynamique pour éviter d’engager trop tôt nos achats a été initiée par Petit Bateau », expliquait à Republik Supply, Sylvain Chéret, qui fut le directeur Supply chain de Petit Bateau de 2020 à 2023.
Modéliser numériquement tous les process
Très clairement, cela signifie que Petit Bateau a compris, très tôt, que les anciens schémas organisationnels n’étaient plus pertinents. Dans l’ancien monde, celui de la vente facile des collections, il était encore loisible de produire l’ensemble des gammes avant le démarrage de la saison. Logique puisque l’on était alors à peu près certain de pouvoir tout écouler rapidement. Seulement, à partir du moment où ce n’est plus forcément le cas, le niveau des stocks peut grimper très vite, avec les coûts inhérents. C’est ainsi tout l’équilibre économique qui s’en trouve menacé.
Première mission : tout remettre à plat pour imaginer une organisation industrielle où, plutôt que de produire puis de vendre, on cherche à produire en fonction de ce que l’on va vendre. Cela suppose de s’appuyer sur des modèles de prédiction de ventes fiables pour déterminer ensuite, très précisément, les besoins de production. L’IA est pour cela d’une grande aide.
Tous les process industriels ont ainsi été modélisés. L’idée ? Sortir d’une logique de silos (une usine, un métier et peu d’intercommunications entre chacun) pour aller vers un système global et interconnecté. En clair : il faut prendre conscience qu’une carence en fil de laine, tel jour, dans telle usine, aura potentiellement des répercussions partout ailleurs demain.
Disposer d’une vision globale, en temps réel
Ainsi, l’entreprise Petit Bateau n’est-elle pas l’association d’une usine en France, près de Troyes, plus une usine en Tunisie et une autre au Maroc avec, à l’intérieur de chacune, des collaborateurs chargés qui du tricotage, qui de la teinture et qui de la confection… Non, Petit Bateau, c’est un ensemble, interconnecté, de trois usines pour plus de 3.000 salariés. Petit Bateau, c’est une organisation multisites et multimétiers, qui manie quelque 2.400 tonnes de mailles tricotées chaque année, pour une moyenne qui peut aller jusqu’à 100.000 pièces par jour pour, finalement, 25 millions de pièces fabriquées chaque année.
Pour bien appréhender cet ensemble protéiforme, dans ses moindres contours, il faut aussi sortir d’une gestion à coups de tableaux Excel - « aux usages certes très souples, mais pas toujours très fiables », comme l’explique Jean-Philippe Gauthier – pour miser sur des modélisations numériques bien plus pertinentes. « Oscar permet de planifier l’ensemble des productions sur l’ensemble des sites et l’ensemble des métiers (tricotage, teinture, confection, assemblage) », pointe Christian Bouillot, ancien responsable des projets stratégiques de Petit Bateau dans ce même webinaire.
Petit Bateau sait maintenant, à chaque instant, en temps réel, de quelles ressources dispose chaque site de production, tant en matières (les fils) qu’en machines et en hommes. « Cela nous a permis de fiabiliser nos plans de production, insiste Jean-Philippe Gauthier. Hier, 40% d’entre eux n’étaient pas exécutables, soit parce que l’on n’avait pas à disposition la matière nécessaire, pas de fil ou pas les fournitures critiques, etc. Ce n’est dorénavant plus du tout le cas. »
Une semaine de gagnée sur le cycle de planification
Grâce à Oscar, on comprend maintenant que Petit Bateau sait mieux produire. Et comme, de l’autre côté du spectre, Petit-Bateau sait aussi de quels niveaux de production il aura besoin, via ses modèles de ventes prévisionnelles, déterminés par l’IA et les datas, cela donne un modèle gagnant. Dès qu’un article sort de la ligne de production, il est aussitôt mis en vente en ligne. Et, en fonction des premières réactions, les équipes de Petit Bateau en connaissent très vite le potentiel de vente. Autant d’informations ensuite intégrées au programme Oscar pour lui permettre de disposer de toutes les informations prédictives nécessaires à ses calculs de production.
Oscar n’a plus, alors, qu’à proposer un cycle de planification. Chez Petit Bateau, ces derniers sont maintenant hebdomadaires. Et le ROI du projet est on ne peut plus clair : « Nous avons gagné une semaine dans le cycle de planification. Auparavant, entre le moment où l’on donnait une prévision à produire et le moment où l’on était capable d’exécuter l’ordre opérationnel dans nos sites, il s’écoulait treize jours. Ce délais est maintenant passé à 7 jours », se réjouit Sylvain Cheret. Conséquence directe : Petit Bateau est maintenant capable de piloter jusqu’à un tiers de ses approvisionnements en cours de saison, au plus près de la demande. Et l’objectif est de porter ce taux de réactivité à 40% d’ici 2025. A la clé, un modèle de gestion plus fin, bon pour le chiffre d’affaires, de par l’amélioration du taux de service et de la réactivité, et bon pour les niveaux de stocks, qui ont diminué de 25% en deux ans.
Une diminution qui ne signifie pas que Petit Bateau va réduire la voilure dans sa plate-forme logistique de Buchères, près de Troyes. Cette dernière avait été inaugurée en 2016 pour remplacer deux entrepôts obsolètes à la Chapelle-Saint-Luc et à Pont-Sainte-Marie. En 2018, le groupe a centralisé sa logistique sur cette plate-forme de 43 500 m2. Et le développement du service de seconde main de Petit Bateau induit une adaptation de l'entrepôt de Buchères au flux de vêtements qu'il faut laver, désinfecter, remettre « comme neuf » selon L’Est Eclair. Les virages écologiques et logistiques vont de pair chez Petit Bateau.