Le bail à construction, une solution pour pallier la rareté du foncier ?
Encore peu usité en France, le bail à construction se résume en une dissociation de la propriété du foncier et de celle de l’immeuble construit dessus. S’il présente de nombreux avantages pour les propriétaires comme pour les preneurs, il est toutefois crucial d’en apprécier l’ensemble des impacts sur toute la vie du contrat soit plusieurs dizaines d’années.
Ce n’est pas un scoop : l’immobilier logistique a besoin de foncier pour se développer. Ce n’est pas un scoop non plus, les terrains disponibles pour cette activité se font de plus en plus rares. Entre un arbitrage des élus rarement favorable à la logistique et le ZAN (Zéro Artificialisation Net), trouver du terrain à destination logistique et industrielle relève de la gageure. Que faire alors ? Le bail à construction peut être une solution à cette situation. Régi par les articles L. 251-1 et suivant du Code de la Construction et de l’Habitation, le bail à construction existe depuis la loi du 16 décembre 1964 et a été modernisé début 2007, lors de l’entrée en vigueur du dispositif Pass-foncier. Il permet à des propriétaires de libérer leur foncier pour que des entreprises puissent y construire des bâtiments, mais sans en perdre la propriété. « Il s’agit, en fait, de dissocier la propriété du foncier et la propriété immobilière, explique Fabien Guisseau, directeur général adjoint au développement économique et aux partenariats stratégiques de Grand Paris Aménagement (GPA), qui a récemment créé, avec la Banque des Territoires, Terra Eco, la première foncière dédiée au pilotage des baux à construction. Ce contrat permet aux aménageurs propriétaires de mettre à disposition leur foncier tout en gardant la main sur les destinations futures de leur terrain. Les élus veulent en effet pouvoir choisir sur la durée et pas seulement sur la première destination, afin de faire face aux évolutions éventuelles de la compétition d’usage ».
De nombreux avantages
Pour les locataires du foncier, qui disposent par ailleurs d’un droit réel sur leur construction, c’est à dire qu’ils disposent d’une libre hypothèque permettant éventuellement de sécuriser un crédit, d’une libre cession et la possibilité de consentir certaines servitudes, « l’intérêt est de trouver du foncier, qui, de plus, dans le cadre d’une ZAC, est déjà préparé à accueillir une activité logistique ou industrielle, souligne Christophe Ripert, directeur général délégué à la Logistique Urbaine de Quartus Logistique. L’acceptabilité est d’ailleurs plus élevée pour nos activités, puisque le terrain était déjà prêt pour cela. De plus, beaucoup d’études sont déjà faites et nous pouvons donc bénéficier d’un gain de temps précieux ». Contrairement à d’autres baux, comme l’emphytéotique par exemple, le bail à construction impose au locataire d’édifier une construction et/ou d’organiser des réhabilitations et améliorations sur le terrain du bailleur, y compris la démolition suivie d’une reconstruction. Une fois arrivé à échéance, le bail à construction, pouvant s’étaler de 18 à 99 ans, confère au bailleur la propriété des édifices construits par le preneur. Il peut également imposer au locataire de démolir le bâtiment et de dépolluer le terrain.
Points de vigilance
Si le bail à construction présente un certain nombre d’avantages aux deux parties – le propriétaire du terrain a la possibilité de pouvoir rentabiliser son domaine parfois inemployé dans l’attente d’un aménagement futur et le preneur peut disposer d’un terrain pour construire sans avoir besoin de l’acheter – il convient de rappeler quelques points de vigilance. « Le bâtiment construit et entretenu par le locataire du terrain, devra être restitué au propriétaire du foncier ou être détruit pour rendre le terrain dans son état initial, explique Christophe Ripert. Dans les deux cas, c’est une perte de valeur pour le constructeur, qui devra l’intégrer dans son business plan ». Selon lui, il n’y a pas de gain économique au bail à construction. « On paye un loyer, révisable tous les trois ans (exemple d’indexation : ILAT), durant toute la durée du bail, et à échéance, il ne nous reste aucune valeur résiduelle ni sur le terrain, ni sur le bâti ». Dans le cadre d’une opération en promotion le futur investisseur tiendra compte de cette perte de valeur en dégradant le taux de capitalisation de 75 à 100 points de base. Un argument pris en compte par Fabien Guisseau. « Certes, l’investisseur paie un loyer sur un terrain qu’il ne peut pas acheter. Mais il garde ainsi sa trésorerie et une fois l’amortissement de la construction dépassé, il obtient une rémunération nette, fiscalement plus intéressante du fait du bail à construction, en louant son bâtiment. Le cœur de l’équilibre de rendement réside alors dans la durée consentie. Au-delà de 50 ans, l’intérêt économique est réel ». Pour ce dernier, ce type de contrat permet, de plus, de limiter la spéculation foncière et donc de réduire la hausse du prix des terrains, alors même qu’ils sont de plus en plus rares.
Réaliser une étude de faisabilité approfondie
Peu usité en France jusqu’à aujourd’hui, du fait d’un héritage culturel, le bail à construction, peut être perçu comme une perte de contrôle pour le preneur qui aura investi, tant financièrement que psychologiquement, dans son bâtiment puisqu’il devra le laisser à son bailleur à l’échéance du contrat, « si ce dernier n’est pas révisé sur la base d’un nouveau projet qui interviendrait dans l’intervalle, commente Fabien Guisseau. Ce qui reste très probable étant donné la durée ! ». Les prises de positions publiques de promoteurs et investisseurs sur le bail à construction restent rares. « Pourtant les exemples se multiplient ces deux ou trois dernières années, et certaines collectivités mettent en place de façon systématique ce type de bail, ajoute-t-il. Tout le monde prend violemment conscience du mur de la rareté foncière ». L’engagement de longue durée, l’obligation de construire et la complexité du business plan induite par un contrat, dont les acteurs de l’immobilier logistique ont encore peu l’habitude, nécessitent une étude de faisabilité approfondie, pour le bailleur comme pour le preneur, et une réflexion poussée.