Le port de Dunkerque veut jouer dans la cour des grands du fret maritime
Au cœur du triangle Londres-Paris-Bruxelles et d’un marché de plus de 100 millions de consommateurs, le port de Dunkerque n’est pas encore considéré comme un « grand » port au même titre qu’Anvers, Rotterdam ou Le Havre. Pourtant, la construction de nouvelles infrastructures et les politiques de gain de compétitivité en font le parfait outsider pour devenir, à horizon 2030, un port majeur du range nord-européen pour le fret maritime.
Dunkerque, c’est l’histoire d’un petit port de pêche au hareng né au XIe siècle, devenu port commercial dès la moitié du XIVe siècle avec l’intensification des échanges avec l’Angleterre et la Hollande avant de subir plusieurs destructions au XVIIIe siècle, sous la pression des traités de guerre et des invasions Anglaises. Le retour sur le devant de la scène du fret maritime commence au XIXe siècle pour le port de Dunkerque avec les arrivées successives de la ligne de chemin de fer, puis de diverses industries : huilerie, scierie, textile, métallurgie… Aujourd’hui, le Grand Port Maritime de Dunkerque (GPMD) s’affirme comme le 3ème port français et le 7ème du range nord européen qui recense les ports entre Le Havre et Hambourg.
En 2030, le port de Dunkerque sera au sommet du fret maritime européen
Pour Julien de Lapize, CEO de la Société de Développement Axe Nord, développeur – investisseur immobilier qui y construit de nouveaux sites : « la maturité du grand port maritime de Dunkerque arrive pour 2030, il entrera alors dans le jeu des grands ports du nord de l’Europe ». Dunkerque s’illustre notamment en tant que premier port français pour l’importation de fruits en conteneurs, premier pôle de fret ferroviaire, second port pour les échanges avec la Grande-Bretagne et premier port fluvial du Nord/Pas de Calais. Pour autant, pas de quoi se hisser au niveau d’Anvers qui continue de recevoir près d’un million de conteneurs à destination de la Région des Hauts-de-France.
« La compétitivité de Dunkerque est forte car sa localisation, sur la deuxième route maritime mondiale, permet aux porte-conteneurs de venir à quai en 90 minutes contre 7 heures pour Anvers » témoigne Julien de Lapize. En 2022, Dunkerque a réalisé un trafic de 49 millions de tonnes (en hausse de 1,5 %) contre 85,1 millions de tonnes pour Haropa Port (Le Havre, Rouen, Paris) et 289 millions de tonnes à Anvers. Le Havre reste de loin le premier port de l’Hexagone mais la concurrence n’est pas vraiment avec le port seinomarin pour Dunkerque. En effet, les deux ports du littoral français captent une partie des conteneurs des ports du Benelux de plus en plus embouteillés. « Anvers est de plus en plus surchargé du fait de l’essor du commerce en ligne et de la taille massive des dernières générations de porte-conteneurs, ce qui signifie que les navires ont de plus en plus de mal à arriver et qu’il manque des places disponibles alors que Dunkerque a fait le pari de grands aménagements. »
Le rattrapage n’est pas pour tout de suite mais ni les efforts ni les atouts ne manquent au port de Dunkerque qui enregistre la plus forte progression du range nord européen sur les deux dernières années (+62 % en nombre de conteneurs). « L’une des grandes forces de Dunkerque réside dans le ‘contrat social‘ installé depuis le début des années 1990 avec une contribution forte du syndicat des dockers qui œuvre tout autant pour le dialogue que pour l’attractivité du port ». Qualité du service, rapidité de passage… pas étonnant donc que le port de Dunkerque ait été plébiscité deux années de suite par les clients chargeurs français dans le baromètre publié par l’AUTF avec un taux de satisfaction de 88 %.
Une politique ambitieuse de développement des infrastructures
Pour atteindre pleinement ses objectifs, le grand port maritime de Dunkerque mise sur le développement de ses infrastructures afin de pouvoir accueillir à quai un nombre croissant de porte-conteneurs. En effet, ce sont près de 400 000 m² de nouveaux entrepôts qui sont actuellement programmés ou en cours de construction alors que les entrepôts implantés sur le territoire portuaire totalisaient une surface d’environ 150 000 m² en 2021. Cette disponibilité foncière (environ 1 000 000 m² de terrains disponibles) et la volonté d’aménagement du territoire attirent de nouveaux investisseurs sur la zone Dunkerque Logistique International (DLI), site qui a d’ailleurs labellisé « clé en main » par le programme Choose France. Pour Estelle Hassen, directrice environnement chez AConstruct, « Dunkerque Logistique International et Zone Grandes Industries sont des espaces en plein développement ce qui permet d’accueillir de nouvelles activités. Cependant, les réserves en foncier ne sont pas infinies, ce qui invite le GPMD à privilégier des projets d’installations d’activités en lien direct avec le port. »
Parmi les différents projets en cours, la Société de Développement Axe Nord développe « un entrepôt dédié à la logistique du froid avec une capacité de 68 000 palettes et une hauteur de 35 mètres de haut qui sera utilisé par un industriel – contrat en cours de finalisation. » Si les projets se multiplient, quelques contraintes se font ressentir en termes d’autorisation : « Pour ce projet, nous avons été contraints de déposer un deuxième dossier car nous avions prévu une charpente métallique autoporteuse dans un premier temps et nous avons dû opter pour une charpente béton, nécessairement avec un coût d’emplacement par palette plus élevé. En effet, la structure en béton ne permet pas d’atteindre la même hauteur (42 mètres dans la première version du projet) et conduit à une moindre optimisation du foncier » explique Estelle Hassen qui salue par ailleurs « la facilité des échanges » avec les acteurs du GPMD. La Société de Développement Axe Nord a également inauguré en présence du ministre chargé des Transports Clément Beaune « un bâtiment de 43 800 m² pour le compte d’un industriel ».
Avec ces nouvelles infrastructures, les acteurs de la logistique (Krown Logistry, Warehouse De Pauw, Ziegler…) sont nombreux à se positionner sur la nouvelle zone et confirment le potentiel de développement exceptionnel du port. Une capacité de stockage en pleine croissance donc mais aussi une augmentation de la capacité d’accueil des navires à quai. « Les bateaux font plus de 400 m de long, détaille Julien de Lapize. Si une compagnie décide de faire une escale dans un port, il leur faut 24 h de garantie pour un quai disponible. C’est la vision du port de Dunkerque pour être compétitif face aux ports du Benelux avec la création d’un quai supplémentaire et la volonté de construire 1 km de berge dans les prochaines années. »
Industrie, décarbonation et rayonnement territorial
Le port de Dunkerque mise sur trois aspects fondamentaux pour établir sa stratégie de long terme. Tout d’abord, la zone assure non seulement les fonctions logistiques de gestion des stocks et des flux mais vise de plus en plus les installations industrielles pour transformer sur place une partie des produits. Première en Europe, le groupe minier Eramet va par exemple construire à Dunkerque la première usine de recyclage européenne de batteries automobiles (à hauteur de 90 % de composants recyclés). Une annonce qui s’inscrit dans l’ambition du port de Dunkerque de devenir un pôle majeur de décarbonation, avec la création d’un espace dédié sur le port. ArcelorMittal implante pour sa part une unité de réduction directe des émissions dans la cadre du plan de décarbonation des « 50 sites les plus émetteurs de France » annoncé en novembre dernier par Emmanuel Macron. Concrètement, le groupe de sidérurgie vise la création de deux fours électriques et un raccordement au réseau de chaleur du port.
Enfin, le développement du port n’est pas pensé « hors-sol ». Il s’inscrit dans une stratégie territoriale beaucoup plus large qui intègre tout l’hinterland de la Région des Hauts-de-France avec des pôles industriels comme Dourges et Valenciennes. « La logistique est stratégique pour nous. Nous dénombrons 144 000 emplois directs et indirects privés qui sont liés à ce secteur, soit 11 % de l’emploi privé au niveau régional » témoignait Philippe Hourdain, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie régionale des Hauts-de-France il y a quelques mois. Dans un rayon de 300 kilomètres, ce ne sont pas moins de 100 millions d’habitants qui forment l’un des principaux bassins de vie et de consommation d’Europe. Grâce à une association avec les ports de Calais et de Boulogne-sur-Mer appelée l’alliance Nordlink, Dunkerque dope sa compétitivité et s’intègre ainsi dans ce qui s’apparente au 1er complexe portuaire français. D’ailleurs, des entreprises comme Decathlon font le pari du port de Dunkerque dans leur stratégie logistique plutôt qu’Anvers ou Rotterdam. En pleine mue et en plein boom, le port de Dunkerque a bel et bien tous les arguments pour devenir un grand.