Les investisseurs face à l’incertitude
Avec une 10e hausse consécutive des taux directeurs de la BCE, l’inflation, la rareté et la cherté du foncier, les investisseurs doivent s’adapter pour continuer à monter des opérations d’immobilier logistique. Lors du LogiDay qui s’est déroulé le 19 septembre dernier, deux tables rondes ont fait état de ce contexte et ont abordé quelques-unes des solutions qui peuvent être mises en place.
La logistique occupe aujourd’hui la 2e place dans le cœur des investisseurs, après le résidentiel et devant le bureau. « Elle se porte mieux que d’autres classes d’actifs », constate François-Régis de Causans, Head of Industrial & Logistics Investment Properties chez CBRE France. Cet état des lieux plutôt positif énoncé lors du LogiDay le 19 septembre dernier, s’est toutefois accompagné d’une présentation d’éléments de contexte général plus anxiogène : La Banque Centrale Européenne a relevé ses taux directeurs pour la dixième fois consécutive depuis 2022, pour établir son principal taux de refinancement à 4,5 %, le plus haut taux jamais enregistré depuis 2001. « L’argent n’est plus gratuit, commente François-Régis de Causans. Et les levées de fonds sont par conséquent plus difficiles pour porter les opérations immobilières en logistique ». En attendant que cette hausse des taux directeurs viennent réguler l’inflation, les prix ont continué d’augmenter, notamment ceux des matières premières et de l’énergie, conduisant à une hausse des coûts de construction. Autre élément de contexte, le ZAN (Zéro Artificialisation Net) questionne l’emplacement des prochains sites logistiques, même si la dorsale continue d’avoir la préférence du secteur. Selon Arthur Loyd et JLL, un peu plus de 560 millions d’euros ont été investis au premier semestre 2023, contre 2 milliards d’euros à la même période en 2022. La machine est bel et bien ralentie...
Bâtiments à étages et multi-activités
Dans ce contexte, les investisseurs font des « choix » et pourraient se montrer « plus sélectifs face à la fin de l’abondance des fonds », s’interroge Diana Diziain, directrice déléguée d’Afilog, lors de l’événement LogiDay. Durant les tables rondes qui se sont déroulées le 19 septembre, plusieurs solutions ont été évoquées : le multiusage ainsi que la verticalité des bâtiments et, d’une manière générale, le travail sur l’acceptabilité des activités logistiques en zone urbaine. « En tant qu’investisseur, nous devons répondre à la demande des utilisateurs, rappelle Stéphane Bernard, Fund Manager Ullis, chez AEW. La proximité des bassins de consommation, la raréfaction du foncier et son prix en hausse, nous poussent donc à penser des bâtiments en hauteur, avec plusieurs activités qui y cohabitent ». Pour autant, les freins à ce type de bâti sont nombreux : les plans locaux d’urbanisme limitent la hauteur à 15 mètres, la sécurité incendie y est complexe, « et ces bâtiments coûtent plus cher », rappelle Christophe Bouthors, président de Telamon. Concernant le multi-usage, il faudrait selon lui, proposer de nombreux avantages à l’utilisateur pour qu’il accepte les contraintes d’un bâtiment à étage qu’il devrait partager. Le ZAN comme la mise en place de ZFE pourraient toutefois pousser ces opérateurs à accepter ce type de bâti pour rester le plus près possible de leurs clients et pouvoir leur garantir une livraison rapide. Vincent Sadé, directeur leasing et capital deployment France de Prologis, relève quant à lui le frein de l’acceptabilité des riverains, avec « des clients qui veulent être livrés en deux heures mais qui ne veulent pas voir les bâtiments logistiques, et encore moins lorsqu’ils sont en hauteur ».
Devenir fournisseurs d’énergie
Pour qu’ils deviennent acceptables, l’un des leviers possibles, est la décarbonation de l’immobilier. Au-delà, devenir des fournisseurs d’énergie pourrait donner aux acteurs de la logistique un argument supplémentaire à donner aux riverains et aux utilisateurs. Certains ont même la conviction que cette mutation sera créatrice de valeur financière, avec des perspectives de rentabilité à la hauteur de l’enjeu. Les économies de charges pour le locataire représenteraient des gains budgétaires permettant de négocier un loyer plus élevé (une étude CBRE de 2023 relève ainsi que les immeubles de bureaux certifiés affichent des loyers plus élevés et des taux de vacance plus faibles et mentionne un surplus de loyer de 6 %). Lors de ce LogiDay, Christophe Bouthors a ainsi affirmé « installer les plus grandes centrales photovoltaïques possibles. Cela nous permet d’afficher un bilan carbone neutre sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment et cela, sans avoir replanté un seul arbre ». Il prévient en revanche de certains points de vigilance en la matière, car l’équilibre financier dépend également du lieu et de la taille du bâtiment, « ce type d’installation nécessitant des coûts de construction supplémentaires ».
Au-delà de la dorsale, convaincre les collectivités locales
Afin de trouver du foncier, certains investisseurs misent sur les territoires en dehors de la dorsale historique (Lille, Paris, Lyon, Marseille). « Nous avons investis sur des sites à Orléans, Beauvais ou encore Rouen », assure Laurent Dubos, directeur général de la foncière Logicor France lors d’une des tables rondes de LogiDay.
Pour Laurent Mary, directeur général adjoint Transports et Aménagement du territoire à la Région Normandie, « les professionnels doivent entendre les attentes nouvelles et s’inscrire dans l’intermodalité, la sobriété énergétique et foncière, et privilégier autant que possible les activités à valeur ajoutée ». Pierre Bergès, délégué général chargé du développement de l’axe Seine-Nord à la Préfecture des Hauts-de-France et Xavier-Yves Valère, chef de la mission Fret et Logistique au ministère des Transports, également présents à cette table ronde, confirment qu’il faudra en effet aux acteurs de la logistique savoir convaincre des élus locaux parfois réticents à accueillir ces activités. « la loi du marché ne peut plus être le seul argument, explique Xavier-Yves Valère. Les élus sont devenus plus exigeants sur les implantations et ont besoin d’explications convaincantes pour expliquer en quoi le projet de logistique est d'intérêt général à leurs administrés comme au tissu économique ».