« Les sols ne sont pas une ressource renouvelable mais un patrimoine » Jean Guiony président de l’Institut de la Transition Foncière
Association loi 1901 regroupant les acteurs engagés dans une gestion durable des sols, l’Institut de la Transition Foncière, constitué de collectivités, d'entreprises, d'établissements de recherche et d'opérateurs publics, a pour ambition de développer la connaissance et les outils opérationnels afin d’encourager le monde économique et les politiques publiques à replacer la préservation des sols vivants au centre de leurs activités. Afilog en est l’un des adhérents depuis la première heure.
Quelle est l’histoire de l’Institut de la Transition Foncière ?
Jean Guiony : L’idée de l’ITF est né en 2022 à partir du constat qu’il n’y avait pas de filière rassemblant sur les enjeux du sol, ni de modèle technique et économique standard sur le sujet, contrairement à d’autres filières comme celle de l’énergie ou de l’eau. Ce manque s’est d’ailleurs particulièrement fait sentir au moment des discussions au moment du ZAN (Zéro Artificialisation Net).
On a senti la volonté assez claire de la part d’acteurs de différents horizons d’aller de l’avant sur la sobriété foncière. La première étape a donc été de réaliser un manifeste, publié en 2023. « Transition Foncière » s’est construit sur une parole commune, avec des personnes qui avaient jusqu’alors que des rapports conflictuels.
À partir de cet élan, nos avons pu rappeler que les sols sont des volumes et non des surfaces, qu’ils sont un tissu vivant et non fossile, qu’ils sont à observer à la coupe et non à la carte, qu’ils ne sont pas une ressource renouvelable, mais un patrimoine…
L’ITF, constitué aujourd’hui de 27 adhérents et de trois partenaires subventionneuses (l’OFB (Office Français de la Biodiversité, l’Ademe et la Banque des Territoires) a ainsi été créé pour accompagner un changement de regard sur ces différents points, qui sont loin d’être des évidences pour tous ceux, développeurs, promoteurs, urbanistes, etc., qui interviennent pourtant quotidiennement sur les sols, et qui sont néanmoins de plus en plus concernés par les risques écologiques qui perturbent la fabrique de la ville et du territoire. On peut citer comme exemple les 8 000 communes, sur les 36 000 que compte la France, qui ont, en 2022, déclaré une catastrophe naturelle liée au retrait-gonflement d’argile, ou encore certaines villes du Var qui ont refusé en 2023 tous les permis de construire, même valides, pour cause de sécheresse des sols et manque de ressource en eau… Le risque écologique concerne donc directement ces acteurs de l’immobilier qui sont poussés à changer leurs pratiques, en plus des évolutions réglementaires et de la rareté foncière qui les contraignent également. Ils doivent adopter un nouveau paradigme en passant de la notion de sol foncier, correspondant à un actif, à la notion de sol vivant.
Qu’est-ce qu’un sol vivant ?
Jean Guiony : Pour passer de la notion de sol foncier à sol vivant, la première étape est de se dire que ce que l’on manipule est un volume avec une intégrité verticale et écosystémique, qui va de la roche mère à l’air. Si on rompt cette continuité, ce n’est plus un sol vivant. On peut par ailleurs rappeler qu’il y a 7 fonctions écologiques des sols. La loi Climat et Résilience en liste quatre, qui peuvent être subdivisées en davantage de fonctions et de potentiels : une fonction climatique de stockage de carbone, une fonction hydrique de régulation du cycle de l’eau, une fonction de support de biodiversité, et une fonction agronomique de potentiel de biomasse (les trois restants concernent les fonctions de filtre, tampon et dégradation des polluants, d’interaction avec la composition chimique de l’atmosphère, et de rétention et fourniture de nutriments, ndlr) . Il s’agit de passer d’une approche économique et juridique à une approche éco-systémique, c’est à dire de considérer le sol comme un élément multifonctionnel, naturel et non renouvelable.
Quels sont les rôles de cette maison commune qu’est l’ITF ?
Jean Guiony : Notre premier rôle est de faire de la recherche et du transfert de connaissances, à travers une chaire, avec comme partenaires l’université Gustave Eiffel, la Caisse des Dépôts et Consignation, l’école d’architecture ENSA Paris-Est, et l’EIVP (école des ingénieurs de la Ville de Paris). L’objectif de cette chaire est d’amener un public de professionnels à des savoirs scientifiques et construire des ponts entre deux mondes scientifiques, celui des agronomes et pédologues et celui des juristes, spécialistes du foncier, des économistes et des aménageurs. Nous organisons dans ce cadre deux journées scientifiques par an, à l’issue desquelles des publications scientifiques sont réalisées et on accompagne des thésards au sein d’entreprises du monde de l’immobilier.
Nous jouons également le rôle d’incubateur d’outils et d’études opérationnels, avec la participation de nos 5 collèges d’acteurs (les entreprises, l’État et ses grandes agences, les collectivités locales, la recherche et le secteur académique, la société civile et les associations de défense de l’environnement). Des ateliers sont constitués, encadrés par des chercheurs. L’ITF s’occupe de fournir des livrables à différentes étapes d’avancement du design d’outils et on développe des cas d’usage chez des adhérents. Nous cherchons, par exemple, à créer un référentiel de technique de restauration des sols.
Notre troisième rôle est celui de plaidoyer auprès d’instances officielles, qui se nourrit de nos deux autres rôles.
Une transition foncière prenant en compte la notion sol vivant est-elle compatible avec des projets logistiques ?
Jean Guiony : Il est intéressant d’étudier le rapport construction et sol par le biais du projet logistique, car il constitue l’un des plus gros défis dans ce domaine. Traditionnellement en effet, ce secteur construit à plat, avec une densité faible, et connaît une assez forte croissance économique ces dernières décennies. C’est un secteur avec une double nature. Il est à la fois un fort contributeur à l’artificialisation des sols si on le rapporte à sa densité, et c’est le secteur qui a le plus de kilomètres à parcourir. Les gains potentiels à obtenir vers une sobriété y sont donc très importants. On voit tous les efforts qui sont faits pour gagner en hauteur, pour développer des sources d’énergie alternative, pour utiliser des fonciers déjà artificialisés, etc. Il lui reste à travailler ce qui concerne la restauration des sols, avec le descellement des sols sur des sites déjà existants, l’usage de matériaux perméables et plus respectueux des sols, mais aussi la levée de contraintes réglementaires qui empêchent les porteurs de projet à aller vers des modes de construction plus respectueux des sols. Par exemple, l’obligation de proposer un certain nombre d’emplacements de stationnement impose aux porteurs de projets d’artificialiser plus que l’opération ne le nécessiterait… En 2025, nous allons justement travailler sur les modes constructifs ayant une moindre empreinte au sol, en nous penchant en particulier sur le sujet des fondations des bâtis.
Comment accompagner les acteurs de l’immobilier dans cette transition ?
Jean Guiony : La formation est essentielle. Parler de ce qu’est un sol, de comment il fonctionne, etc. suscite déjà énormément d’intérêt et de question de la part de ces acteurs. De plus, chaque personne formée devient un ambassadeur de la cause. Se former serait même, selon moi, une forme d’obligation morale pour tous ceux qui ont un impact sur le sol.
Pour les accompagner, il est également essentiel de passer par l’expérimentation, la démonstration de ce qu’il est possible de faire. On peut corriger le modèle économique pour rendre la sobriété foncière moins coûteuse, voire moins coûteuse que l’artificialisation.
Quand on compare aux sujets de l’eau ou du carbone, nous n’en sommes vraiment qu’au début et il manque encore des exemples d’alternatives possibles.