Économie

L’ORE, un outil juridique pour la biodiversité

9 sept. 2024
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Il ne s’agit pas d’un nouveau label. L’Obligation Réelle Environnementale (ORE) permet aux propriétaires fonciers de faire naître sur leur terrain des obligations durables de protection de l’environnement, dans le cadre de mesures volontaires ou réglementaires associées à leur projet logistique ou industriel.

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Elèves du Lycée Crézancy et les stagiaires du CFPPA - Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole de Verdilly (formation continue adultes)

Encore méconnue, l’Obligation Réelle Environnementale (ORE) existe pourtant depuis 2016 en France. Pour comprendre les raisons de la création de cette ORE, il faut remonter au 10 juillet 1976, quand la loi relative à la protection de la nature a imposé de nouvelles contraintes d’aménagement dans le secteur de l’immobilier. L’une de ces contraintes se résume par la séquence ERC (éviter – réduire - compenser), résultant de l'article L 110-1, II-2 du code de l'environnement. Cette séquence, intégrée à une étude d’impact environnemental obligatoire, offre une approche structurée pour supprimer, réduire et compenser les conséquences dommageables pour la biodiversité. Au niveau européen, on retrouve ces notions d’évaluation environnementale dans différentes directives, et à l’international, la convention sur la diversité biologique de 1992 mentionne les mesures d’évitement et de réduction en vue de supprimer d’éventuelles nuisances sur la diversité biologique.

Dans un contexte de fortes tensions sur le marché de l’immobilier logistique et de volonté de réindustrialiser le pays, les constructions de bâtiments restent nécessaires, avec des équipements techniques, des emplacements de stationnement pour les poids lourds ou une voie pompier en périphérie du bâtiment indispensables…, la phase « éviter » reste difficile, si ce n’est impossible, en termes d’emprise au sol. Celle de « réduire », quant à elle, ne suffit pas à préserver totalement l’environnement. Il faut donc « compenser ». Il s’agit d’un enjeu de taille pour les acteurs du secteur, notamment parce que « la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et de la biodiversité impose le principe d’équivalence écologique, tant du point de vue quantitatif que qualitatif », précise Matthieu Rivet, directeur expertise et appui réseau de CDC Biodiversité, entité créée en 2007 par la Caisse des Dépôts et Consignation, qui agit pour la restauration de la biodiversité sur les territoires, en créant, expérimentant et déployant des solutions de long terme avec les acteurs publics et privés.

Car, en effet, comment être certains que les mesures compensatoires mises en place soient efficaces, mais aussi durables ? Après un lent et long processus de réflexion, l'ORE (Obligation Réelle Environnementale), a été crée et codifiée à l'article L. 132-3 du code de l'environnement, un outil juridique pour garantir la pérennité des actions en faveur de l’environnement mises en œuvre. Il est particulièrement pertinent quand les mesures compensatoires doivent être réalisées en dehors du périmètre du site concerné. L’ORE est un contrat, établi sur la base du volontariat, permettant de régir les relations entre le propriétaire foncier et un cocontractant qui peut être une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement. Un débiteur de l'obligation de compenser peut ainsi rejoindre les cocontractants.

Un exemple concret avec Aréfim

C’est le choix qu’a fait Aréfim, en 2022, pour son site de Château-Thierry, dans l’Aisne. « Au moment où nous prospections, la zone industrielle de l’Omois nous a semblé un lieu parfait pour développer un bâtiment de 60 000 m² Seveso seuil haut, avec une triple certification environnementales (HQE Excellent, BREEAM Excellent Fully Fitted et Biodivercity Performant), raconte Benoît Duffours, directeur général délégué de la foncière logistique et industrielle Aréfim. Le terrain de 13 hectares avait en effet recueilli les déblais des travaux de l’autoroute A4 dans les années 1970, et nous pensions alors qu’il ne serait pas difficile de construire sur cette zone, d’autant que le PLU (Plan Local d’Urbanisme), le Scot (Schéma de cohérence territoriale) et le Sraddet (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) visaient cette zone pour du développement économique ». Seulement voilà : en plus de 50 ans, la nature et l’agriculture avaient repris leurs droits. Après l’audit faune flore obligatoire pour obtenir les autorisations administratives de construire et d’exploiter, il a été évident que les enjeux de biodiversité étaient importants. « Nous avons donc appliqué la séquence ERC : nous avons « évité » en décalant le bâtiment de l’endroit initialement prévu, nous avons « réduit » en construisant moins de mètres carrés et en mettant en place des zones protégées pour préserver la faune et la flore ».

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La compensation reste inévitable

Malgré ces mesures, la phase « compensation » restait nécessaire. Les équipes d’Aréfim ont alors contacté la communauté de communes, afin de trouver un terrain pour la mise en œuvre de cette compensation. « C’est ainsi que nous avons rencontré le lycée agricole et viticole de Crézancy, qui avait un terrain en jachère possédant les mêmes caractéristiques techniques que la zone que nous allions artificialiser ». Ne souhaitant pas gérer ce dossier seul, Aréfim a également fait appel à CDC Biodiversité dont la mission serait de gérer la mise en place des mesures compensatoires. « Le contrat tripartite ORE ainsi signé correspond complètement à l’esprit des 4 piliers de notre société (à mission depuis 2023) : la co-construction, l’environnement, la biodiversité et le bien-être au travail ». Le projet comprend en effet, de plus, un volet pédagogique, puisque le terrain, propriété de l’Etat, et qui reste sous la gestion du lycée agricole permettra aux élèves et aux stagiaires de l’établissement d’apprendre dans de bonnes conditions la restauration écologique en lien avec une activité agricole. « Les 1,3 million d’euros que nous avons investis permettent de payer les stagiaires, mais aussi l’acquisition de nouvelles machines, qui ne serviront pas seulement aux mesures de compensation d’Aréfim ». L’ORE contractée par Aréfim court sur 30 ans, avec une vérification de la DREAL Hauts-de-France qui doit s’assurer que les engagements de chacune des parties sont bien tenus.

Mise à disposition d’un guide méthodologique par le Cerema

« L’ORE implique une obligation de résultats et pas seulement de moyens, précise Matthieu Rivet de CDC Biodiversité. Dans le cadre des compensations environnementales, elle est souvent liée à un arrêté préfectoral qui oblige les parties signataires pour la durée prévue dans le contrat ORE et pouvant aller jusqu’à 99 ans ». Aucune contrainte stricte n’est posée par le cadre législatif, les cocontractants décident des mesures à mettre en place, pourvu que celles-ci aient pour finalité le maintien ou la restauration de la biodiversité. Cette liberté permet de rédiger des accords au plus près des réalités écologiques, sociales et économiques. Elle permet également de servir une large gamme d’enjeux. Le contrat ORE permet par exemple d’inclure des habitats naturels non couverts par la législation relative aux espaces naturels protégés. Particularité de ce contrat, dans la mesure où les obligations sont attachées au bien, elles perdurent même en cas de changement de propriétaire. Le ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires, en collaboration avec le Centre d'études et d'expertise pour les risques, la mobilité, l'environnement et l'aménagement (Cerema), met à disposition un guide méthodologique constitué de fiches destinées à accompagner les acteurs de terrain dans la prise en main de cet outil.

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