Territoires

Notre ambition est de construire une planification fine, pour créer les conditions optimales à une réindustrialisation verte » Fabienne Buccio, préfète AuRA et coordinatrice de l’Axe MeRS

21 oct. 2024
Lecture : 4 minutes

Impulsé par le président de la République en 2021, l’axe MeRS représente une forme de gouvernance inédite. Composé de quatre régions, représentées par leurs préfets et des représentants régionaux, d’acteurs publics (CCI, CNR, VNF, GPMM,...) et d’organisations professionnelles (Afilog, AUTF, FNTR,...), ce projet entend proposer un schéma directeur, avec une planification multisectorielle et la mise en place d’outils communs, à même de porter une réindustrialisation verte. Entretien avec Fabienne Buccio, préfète coordinatrice du projet.

Fabienne_buccio Portrait

En quoi consiste l’axe MeRS et pourquoi a-t-il été créé ?

Fabienne Buccio : L’Axe Méditerranée-Rhône-Saône est né en 2021 d’une volonté politique. Celle de créer les conditions d’une réindustrialisation verte par le développement d’un transport massifié par voies fluviale et ferroviaire dans la première région industrielle de France. Il faut pour cela un hinterland compétitif, qui traverse quatre grandes régions : Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne, représentant à elles quatre 35 % de la valeur ajoutée du pays.

Pour coordonner ce développement sur un territoire vaste avec des acteurs aux intérêts divers, une organisation souple et efficace est nécessaire. Un préfet a donc été nommé pour coordonner le projet, moi-même, ainsi qu’un délégué général au développement de l’axe, Romain Maillot. Nous animons régulièrement, environ deux fois par an, des conseils de coordination interportuaire et logistique (CCIL) sur les quatre régions concernées, afin de faire le point sur nos avancées, nos points de blocages, sur les projets à venir… Durant ces réunions, sont réunis les quatre préfets de région, des représentants des conseils régionaux, des métropoles, des experts, ainsi que tous nos partenaires, représentants des opérateurs présents le long de cet axe.

Comment se déroule concrètement cette politique co-concertée ?

Fabienne Buccio : Au début du projet, nous avons par exemple demandé à tous les participants ce qui, selon eux, représentait un frein au développement du transport fluvial dans nos régions. Beaucoup de réponses tournaient autour de la problématique des droits de douane. Nous avons donc fait appel à un coordonnateur douanier pour travailler ce thème en particulier et résoudre les points de blocage, avec des échanges sur les bonnes pratiques de chacun. L’idée est de découper chaque problématique en plus petites briques de travail, pour trouver rapidement des compromis. En juin, a ainsi abouti la numérisation des flux, avec une interopérabilité de tous les outils de suivi dans tous les ports de l’axe.

Le succès de l’axe MeRS ne pourra par ailleurs pas se faire sans foncier à proximité. Première pierre à l’aménagement global du corridor, nous avons donc publié en juin dernier, avec l’appui de nos partenaires, le premier catalogue de l’axe (voir encadré), recensant tous les terrains disponibles, afin de faciliter leur promotion et leur commercialisation. Cette carte interactive est une ressource précieuse pour la planification stratégique et l’optimisation des investissements dans nos régions dynamiques.

Est-il difficile de mettre en place ce catalogue ?

Fabienne Buccio : La nécessaire sobriété foncière qui a donné lieu au dispositif ZAN (Zéro Artificialisation Nette), nous a fait prendre conscience de la rareté du foncier. Il a donc fallu franchir quelques barrières, et faire comprendre que nous avions un destin commun, et que ce recensement serait un atout pour la compétitivité de nos régions traversées par l’axe MeRS.

En plus des dates de disponibilité et des destinations des terrains, ce catalogue a pour vocation à continuer de s’enrichir régulièrement de détails supplémentaires. Mais cela prend du temps ! À terme, nous souhaiterions le faire inscrire dans le dispositif national « France Foncier + », afin de ne pas multiplier les outils pour les chargeurs et simplifier leurs recherches de foncier. Cela nous permettra par ailleurs de faire reconnaître certains projets régionaux ou départementaux comme d’envergure nationale, offrant ainsi de nouvelles opportunités aux acteurs qui les portent.

Comment parvenir à une planification industrielle et verte, quand il y a autant d’acteurs différents autour de la table ?

Fabienne Buccio : Il est tout d’abord nécessaire de prendre en compte l’ensemble des contraintes: sur l’énergie, sur l’exigence de la décarbonation, sur le foncier… Notre ambition est de construire une planification fine, qui doit trouver des équilibres avec les problématiques de chacun. Nous savons ce projet ambitieux et nous mettons toutes les chances de notre côté pour y aboutir en co-construisant avec les territoires, les acteurs économiques, les collectivités locales… Planifier, cela veut dire concerter.

Comment concilier industrie et décarbonation ?

Fabienne Buccio : La planification peut résoudre en partie cette contradiction. Grâce à elle, il est en effet possible d’anticiper et de choisir une implantation en cohérence. Le transport de marchandises représente aujourd’hui 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Choisir un emplacement proche des axes de circulation pour réduire les kilomètres à parcourir diminue ces GES, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’utiliser le fluvial et le ferroviaire comme modes de transport. Des choix peuvent également être faits sur le type d’industrie à développer et sur les énergies que les entreprises utilisent pour leur activité et pour l’acheminement de leurs marchandises.

Vous travaillez actuellement sur un schéma directeur de l’axe. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Fabienne Buccio : Nous n’en sommes qu’au tout début. Lors du CCIL de décembre 2023, a été présentée la première étape du schéma directeur de l’axe. Son ambition est d’articuler les stratégies de développement des gestionnaires de foncier économique avec celles des conseils régionaux, des métropoles de Marseille, Toulon et Lyon, des Chambres de commerce et d’industrie régionales dans un objectif de sobriété foncière et de performance énergétique. Après discussion avec tous nos partenaires, Voies Navigables de France (VNF), la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), et également les associations professionnelles telles qu’Afilog, nous connaissons désormais les besoins en termes d’énergie, de transport et de foncier. Nous pensons qu’une première version de ce schéma directeur pourra voir le jour en 2025.

Pensez-vous pouvoir être un exemple pour d’autres régions et d’autres axes ?

Fabienne Buccio : Nous représentons en effet une forme de gouvernance inédite, qui intéresse beaucoup de monde. Présenter une planification interrégionale de cette ampleur est ambitieux et les échanges de bonnes pratiques avec d’autres organisations similaires la nôtre, comme l’Axe Nord par exemple, est donc important. Ces discussions nous permettent de nous intéresser à de nouveaux sujets, tels que la cybersécurité.

Un catalogue foncier à étoffer

« 27 sites identifiés, 10 000 hectares de foncier répertoriés et 1 400 parcelles identifiées », liste Thomas San Marco, directeur exécutif au sein de CNR (Compagnie Nationale du Rhône) et président de MedLink, association œuvrant au développement de l’activité et du transport multimodal sur l’axe MeRS. Bien que perfectible, aux dires des participants au projet, ce catalogue foncier de l’axe MeRS a le mérite d’avoir été mis en place en moins d’un an et de faire la démonstration de l’engagement de tous dans ce projet commun pour le développement industriel et logistique des quatre régions concernées. « Ce travail collectif, qui va se poursuivre avec de nouvelles versions, permet de renforcer l’attractivité de nos territoires auprès des entreprises et d’encourager le report modal, encore insuffisant aujourd’hui, assure Thomas San Marco. Les gestionnaires de foncier restent maîtres de la commercialisation de leurs terrains, quand le catalogue est là pour les promouvoir et les valoriser ». Pour le président de Medlink, « même si le ZAN devait s’assouplir dans les mois qui viennent, chacun doit garder en tête sa responsabilité sur le foncier, qui n’est pas une ressource inépuisable ».

À lire aussi