Pourquoi les entrepôts à étages ont de l’avenir en France … sous conditions
Alors qu’elle avait été chassée de la zone urbaine dense, la logistique cherche désormais à y revenir dans un contexte où le foncier est devenu encore plus rare et encore plus cher. Mais sur les rares terrains disponibles, la compétition avec les autres usages est féroce et, plus que jamais, la question de l’optimisation du foncier se pose. Les entrepôts à étages paraissent être une solution toute trouvée à cette problématique. Enquête avec retour d’expérience.
Très développés en Asie – notamment au Japon et à Singapour où la verticalité est la norme et l’horizontalité l’exception – les entrepôts à étages en zone urbaine dense sont-ils en passe de se frayer un chemin dans l’Hexagone ? À cette question, CBRE, étude à l’appui, répond par l’affirmative. Si, à l’heure actuelle, l’Ile-de-France comptabilise 17 sites existants pour plus de 784 300 mètres carrés, d’ici 2027, 767 120 mètres carrés d’entrepôts à étages vont sortir de terre à l’instar de l’immeuble à deux niveaux de Sogaris dans la ZAC Gare Ardoines à Vitry-sur-Seine ou la réhabilitation de la gare des Gobelins (SEGRO) dans le 13e arrondissement de Paris. De facto, après une traversée du désert depuis les années 2000, le développement de mètres carrés logistique en étages va retrouver un second souffle en France. « Si tous les projets se concrétisaient, le parc d’entrepôts à étages pourrait doubler en trois ans dans la région-capitale, soulignent les équipes de CBRE. Cette multiplication et accélération inédite du modèle est le signe que ces produits sont en phase avec les enjeux urbains et durables actuels. »
Entrepôts à étages : l’exemple du SEGRO Park Gennevilliers Paris Air²
Sur ce terrain de jeu tricolore des entrepôts à étages, SEGRO fait figure de précurseur. En 2018, l’investisseur spécialisé en immobilier logistique et industriel, via sa filiale Vailog, a livré le SEGRO Park Gennevilliers Paris Air² au cœur du port de Gennevilliers, une plateforme de distribution urbaine à étage de 63 000 mètres carrés loués à Ikea France et Leroy Merlin. « Face à la raréfaction du foncier aux portes de Paris, cela faisait sens de développer une plateforme logistique à étages, rembobine Edouard Ancel, Directeur du pôle City Logistics chez SEGRO France. Au lieu d’être relégué dans une périphérie plus lointaine, ce site permet à Ikea d’être présent au sein d’une zone urbaine dense afin de renforcer sa stratégie multicanale et être au plus près de ses clients, dans une logique de flux du dernier kilomètre. »
« Un travail d’orfèvre »
Pour qu’un entrepôt à étages fonctionne parfaitement à sa livraison et au-delà, il faut bien évidemment que les surfaces – tout comme le monte-charge ou encore la double rampe pour les chargements – correspondent aux besoins des utilisateurs. « Ce type de produit logistique est avant tout un travail d’orfèvre avec de multiples points à anticiper pour éviter des déconvenues à son utilisation », poursuit Edouard Ancel. À titre d’exemple, SEGRO Park Gennevilliers Paris Air² décline 48 quais en double face traversant en rez-de-chaussée, mais également 23 quais en simple face à l’étage. Sans oublier des hauteurs de 10 mètres en RDC et de 7 mètres à l’étage, une rampe d’accès large de 10 mètres et une cour de manœuvre de 35 mètres de profondeur. « Cette plateforme a été développée et demeure exploitée sous Building Information Model (BIM) », complète le Directeur du pôle City Logistics chez SEGRO France. Autre avantage de cet entrepôt à étages à Gennevilliers pour ses utilisateurs : sa bimodalité, à savoir son accès par des voies routières ou fluviales.
Les deux défis pour monter plus haut
En revanche, les plateformes à étages – qui sont légion en Asie – nécessitent plus de poteaux pour les soutenir, notamment en fonction de la nature du terrain où elles sont bâties. Monter plus haut représente également deux défis : la rampe d'accès, car complexe à concevoir, mais aussi le surcoût constructif que génère le renforcement de la structure globale. « On estime que plus l'on monte dans les étages plus les coûts de construction avoisineront 1 800-1 900 €/m2 (rampe incluse) tandis que pour un bâtiment n'excédant pas le R+1, le coût de construction se situera plutôt autour de 1 400 €/m2 », avancent les auteurs de l’étude de CBRE. Enfin, la conception de la rampe demeure un facteur majeur de réussite d’un projet d’entrepôt à étages. Deux types de configuration coexistent : la rampe hélicoidale – nécessitant de concevoir le bon niveau de giration – et la rampe latérale, qui tend aujourd'hui à être privilégiée. « Bien qu’en Asie les rampes hélicoïdales soient privilégiées pour consommer moins de foncier, pour le SEGRO Park Gennevilliers Paris Air², nous avons opté pour une rampe linéaire, car plus simple à réaliser », précise Edouard Ancel.
La norme ICPE et son impact sur la conception des locaux
Si l’entrepôt à étages est classé ICPE 1510 (installation classée pour la protection de l’environnement), cela implique des procédures d’autorisation et de contrôle mais également un impact dans la conception des bâtiments. « Il faut au stade du permis de construire, avoir l’aval des pompiers, qui sont plus frileux sur les édifices à étages en raison des contraintes techniques supplémentaires », précise CBRE. Et Edouard Ancel de préciser : « Sans l’obtention de cette norme, l’ampleur des usages est très restreinte en France, car elle permet de stocker des marchandises plus de vingt-quatre heures. » En analysant les données à leur disposition, les équipes de CBRE relèvent une baisse sensible du nombre de mètres carrés ICPE 1510 par rapport aux bâtiments existants (divisé par 2 ou 3). « Dans l'échantillon de projets analysés, la plupart des bâtiments accueillent en étage des locaux avec des standards se rapprochant davantage de l'activité que des standards logistiques (ou entre les deux) : les charges au sol sont rarement supérieures à 3 tonnes/m2 et la hauteur sous plafond en moyenne 30 % inférieure à la hauteur du rez-de-chaussée », cite encore le conseil en immobilier.
En dehors de l’Ile-de-France, l’étude de CBRE dénombre pas moins de sept nouveaux entrepôts multi-niveaux (Lille, Marseille, Lyon…) qui pourraient s’ajouter aux deux “seuls” bâtiments existants en régions. Sous réserve que les dossiers soient regardés favorablement par les services instructeurs, peu habitués à ces formats, même si la réglementation les permet. « Avec un foncier de plus en plus rare, couplé au Zéro artificialisation net (ZAN) des sols ou les Zones à faible émission (ZFE), les entrepôts à étages seront de plus en plus plébiscités », stipule Edouard Ancel de SEGRO France. « Mais, poursuit-il, le développement sur plusieurs étages n’est pas une solution unique adapté à tous les environnements et les spécificités locales doivent être prises en compte. » Les loyers correspondant aux coûts de construction majorés rendent ces bâtiments possibles en proche couronne francilienne et dans le centre et péri-centre de quelques grandes agglomérations. Le périmètre des loyers admissibles pourrait s’élargir petit à petit avec la pénurie de surfaces et l’augmentation corrélée des loyers. Sauf que les PLU (plans locaux d'urbanisme) demeurent le principal frein en matière de verticalisation… « La hauteur des locaux logistiques est souvent limitée à 15 mètres, ce qui n'incite pas les porteurs de projet à multiplier les niveaux pour éviter de devoir passer par une modification du PLU en vigueur », pointent les auteurs de l’étude CBRE intitulée… “Ramener la logistique en zone urbaine dense : le défi des entrepôts à étages”. Tout un programme. Ou plutôt tout un potentiel de programmes.