Territoires

Quand les œuvres d’art investissent les entrepôts

15 nov. 2023
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Le mouvement d’intégration de l’art sur les bâtiments gagne depuis peu les entrepôts urbains dont les façades se parent de plus en plus de fresques monumentales de Street Art. Ces œuvres contribuent à améliorer l’insertion des bâtiments logistiques dans le paysage urbain et leur image auprès des riverains, et à marquer une forte identité de leurs concepteurs, promoteurs, propriétaires et occupants. 

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Plateforme logistique de Sogaris à Rungis ©Adrienne Production

Le baiser d’un couple pris dans son étreinte amoureuse, inspirée d’un croquis du peintre autrichien Gustave Klimt, illumine le paysage urbain de la zone d’activités d’Orly-Rungis (Val-de-Marne). Cette fresque monumentale, haute en couleurs, réalisée en 2022 par l’artiste de Street Art C215 sur un coin de façade de la plateforme logistique de Sogaris à Rungis, est visible depuis l’autoroute A 86 et la ligne de tramway T7. Elle enchante ainsi quotidiennement les automobilistes et les passagers du tramway. « Cette œuvre s’inscrit dans notre démarche entamée en 2017 à l’occasion des 50 ans de notre plateforme. Nous souhaitions marquer le paysage du territoire où nous sommes implantés et faire porter un regard nouveau sur ce lieu peu connu. La réalisation d’une œuvre murale monumentale est rapidement apparue comme une évidence » explique Jonathan Sebbane, directeur général de Sogaris. La fresque de C215 est la dernière en date d’une série d’œuvres de très grand format qui ornent les façades nord de la plateforme historique, après celles de l’artiste lyonnais Cart’One (2017), du catalan Miquel Wert (2018) et du marseillais Meyso (2020). « Ces quatre œuvres composent une véritable galerie de Street Art à ciel ouvert, visible de tous » relève-t-il.  

Street Art et logistique urbaine, un binôme souhaité et plébiscité 

A l’image de l’initiative de Sogaris, l’art urbain investit depuis quelques années les entrepôts. Les collaborations entre acteurs de l’immobilier logistique et le Street Art s’intensifient à mesure que les espaces logistiques réinvestissent les villes. Avec l’explosion de l’e-commerce et la nécessité de mieux organiser les flux logistiques du dernier kilomètre, les lieux de stockage et de transport de marchandises se sont rapprochés des riverains et des consommateurs. « Street Art et logistique urbaine sont deux phénomènes parallèles qui sont entrés par effraction dans les cœurs de villes, d’abord marginalisés et invisibles, mais qui ont fini par acquérir leurs lettres de noblesse jusqu’à être aujourd’hui souhaités, plébiscités, et même institutionalisés », analyse Jonathan Sebbane. Le Street Art participe fortement, en effet, à l’insertion paysagère et urbaine des entrepôts et rend plus visible le patrimoine immobilier logistique. 

L’art urbain améliore l’image des entrepôts aux yeux des riverains 

Un pari qui n’était pas forcément gagné au regard de la mauvaise image que véhiculent les entrepôts aux yeux de certains riverains, qui peuvent les percevoir comme des centres d’activités polluantes et bruyantes. « L’art est un atout majeur dans la nécessité de travailler sur l’acceptabilité par la population urbaine de la présence d’entrepôts. La mise en œuvre d’opérations artistiques fédère élus, riverains et acteurs de l’immobilier logistique autour d’un projet commun qui permet de changer l’image de l’entrepôt » souligne Hugo Benkara, cofondateur de la maison de production d’art Quai 36. L’agence a notamment confié à un artiste la réalisation, sur les palissades du chantier de construction de l’espace de logistique urbaine P4 (Sogaris) porte de Pantin à Paris, d’une série de collages de photos-portraits grand format d’hommes et de femmes impliqués dans ce chantier. « L’idée était d’atténuer son impact visuel tout en incarnant les visages qui y travaillent » glisse-t-il. Quai 36 a également fait réaliser par des artistes des fresques à l’intérieur du parking souterrain de l’entrepôt du promoteur d’immobilier logistique Vectura à Beauchamps (Val d’Oise). 

L’art, facteur de bien-être du personnel et d’identité de marque 

Mais c’est au sein des grands parcs logistiques que l’art sur les entrepôts favorise le mieux leur image auprès des riverains et surtout le bien-être du personnel qui y travaille. En témoigne la démarche PARKlife™ de l'investisseur Prologis dans son immense parc logistique de Lodi (Lombardie) en Italie qui comprend huit bâtiments. « Dans le cadre de notre démarche sur la qualité de vie au travail, nous avons fait appel à huit artistes de Street Art qui ont peint des fresques sur les façades de plusieurs bâtiments. Ces œuvres participent à embellir le cadre de vie et à accroître le bien-être des salariés. Elles constituent un facteur d’attractivité pour pallier la pénurie de main d’œuvre dans le secteur logistique » indique Cécile Tricault, Senior Vice-Présidente pour l’Europe du sud de Prologis. L'investisseur a d’ailleurs multiplié en Italie les initiatives de la sorte depuis le succès de sa démarche PARKlife™ à Lodi mise en place en 2021. Il a eu recours à d’autres artistes pour réaliser des fresques monumentales sur les bâtiments de ses parcs logistiques Premium de Romentino (Piémont) et de Bologne (Emilie-Romagne). « La foire d’art contemporain Art City Bologna a exposé des photos des façades peintes de nos entrepôts. En cela, l’art sur nos bâtiments constitue un enjeu identitaire important pour notre groupe dans le pays » révèle-t-elle. Un constat que partage Jonathan Sebbane, « l’art mural d’entrepôt est devenu une marque de fabrique pour Sogaris en France »  

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Parc logistique de Prologis à Lodi (Italie) ©Prologis

Hausse de la demande de projets artistiques sur les entrepôts 

Convaincu de l’impact positif du Street Art sur son patrimoine immobilier, Prologis a pris quelques initiatives similaires sur certaines de ses plateformes en Pologne, au Brésil et aux Etats-Unis, qui permettent aussi d’appuyer sa stratégie d’implantations. « Les opérations artistiques sur nos entrepôts ont démontré qu’elles peuvent changer et améliorer nos relations avec les autorités locales » remarque Cécile Tricault. Un élément clé pour amplifier à l’avenir les œuvres d’art sur les bâtiments logistiques. « La demande de projets artistiques sur les entrepôts urbains ne cesse de croître. Le potentiel d’expression est énorme. Mais pour les nouvelles réalisations immobilières, tout l’enjeu est de concevoir et de déclarer de tels projets dès le permis de construire afin d’embarquer dès le début la collectivité locale et d’éviter d’éventuelles contraintes techniques ou juridiques » conclut Hugo Benkara. 

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