Sébastien Martin : « La réindustrialisation de notre pays ne pourra pas se faire sans ses territoires »
Le gouvernement a annoncé le 9 novembre dernier les 183 nouveaux Territoires d’industrie. Objectif : accélérer la réindustrialisation du pays. Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France et président de la communauté d’agglomération du Grand Chalon, revient sur l’importance de cette annonce et dévoile sa vision sur la réindustrialisation.
C’est désormais officiel, 183 nouveaux territoires d’industrie ont été choisis par le gouvernement pour réussir sa politique industrielle. Un programme que vous allez co-piloter après avoir appelé de vos vœux une seconde phase à cette initiative. Quelle approche défendez-vous pour la réindustrialisation de la France ?
Sébastien Martin : Pour réussir la réindustrialisation de la France, il ne suffit pas de créer un guichet national. Il faut également renforcer l’attractivité au niveau local. Autrement dit, partir du terrain, des projets des industriels afin de mieux les accompagner. Au sein d’Intercommunalités de France, nous promouvons donc une approche décentralisée (ou concrète) pour réindustrialiser notre pays.
L’initiative « Territoires d’industrie » traduit bien cette approche. Lancée fin 2018, ce programme associe l’État, les industriels et les élus locaux pour venir au secours des zones frappées par la désindustrialisation. Six ans après la première phase, l’État a annoncé le 9 novembre dernier les 630 intercommunalités, fédérées en 183 nouveaux territoires d’industries. Cette nouvelle phase couvre plus de la moitié des intercommunalités que compte le pays. Objectif : les aider dans leur effort de réindustrialisation autour de la transition écologique, le développement des compétences mais aussi l’optimisation du foncier. Une enveloppe de 100 millions d’euros par an a été sanctuarisée pour financer les projets des lauréats. Après des mois de travail, d’engagement, de mobilisation, c’est une immense étape dans l’Histoire industrielle française : la reconnaissance que la réindustrialisation de notre pays ne pourra pas se faire sans ses territoires. Les enjeux sont immenses mais c’est par la force du terrain et grâce à notre volonté de travailler ensemble que nous réussirons.
Vous avez également remis 20 propositions en mars dernier à Bruno Le Maire pour contribuer au projet de loi Industrie verte. La loi a été promulguée le 23 octobre dernier. Dans quelle mesure va-t-elle influer sur la réindustrialisation de la France selon vous ?
Sébastien Martin : Si nous voulons décarboner et accélérer les implantations industrielles en France, nous disposons déjà des outils nécessaires. Il faudrait surtout muscler la politique d’aménagement des collectivités pour dépolluer et verdir les sites existants, repenser les mobilités vers les zones industrielles, repenser les usages dans ces zones industrielles…
Cependant, la loi reprend certaines de nos propositions et comporte des avancées notables. Une planification du foncier industriel est instaurée à l'échelle régionale au travers des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) qui devront intégrer un objectif en matière de développement des activités industrielles. La loi avance également de deux ans la possibilité d’introduire des critères de production durable dans la commande publique, ce qui va dans le bon sens pour permettre aux collectivités de retenir des projets vertueux. Troisième exemple : les sites industriels clés en mains. Ce dispositif intéresse de nombreuses collectivités mais il est compliqué à appliquer, la loi le simplifie. La Banque des territoires devrait notamment investir un milliard d’euros entre 2023 et 2027 pour créer 50 sites « clés en main » pré-aménagés, en dépolluant des friches industrielles.
Néanmoins, certains aspects ont été omis dans cette loi, comme la fiscalité locale par exemple. La suppression des impôts économiques locaux a décorrélé le lien fiscal entre l’accueil d’une activité industrielle et le retour sur investissement pour la collectivité. Pour la moitié des intercommunalités, il faut plus de 10 ans aujourd’hui pour que la fiscalité couvre la dépense d’investissement. Cette durée est bien souvent moins longue pour des opérations de logements.
Vous êtes également président de la communauté d’agglomération du Grand Chalon depuis 2014. De quelle manière l’approche industrielle promue par Intercommunalités de France est-elle appliquée au sein de votre territoire ?
Sébastien Martin : En premier lieu, une intercommunalité doit savoir anticiper et pré-aménager un site avant de faite venir des industriels dans le cadre d’une politique dédiée. C’est ce qui est fait par exemple au niveau du Grand Chalon avec la requalification de la friche Kodak. Ensuite, il ne suffit pas de commercialiser un foncier à prix attractif. Une intercommunalité doit également proposer tout un écosystème qui facilite la vie des industriels : équipements mutualisés, politique de formation dédiée au niveau du bassin d’emplois… C’est dans cette logique que le Grand Chalon a créé, avec le soutien de l’État, de la région Bourgogne Franche-Comté et du département de Saône-et-Loire, l’Usinerie. Ce pôle d’innovation et de digitalisation pour l’industrie regroupe des experts, des acteurs de la formation mais aussi de l’innovation.
Quelle est l’importance de la logistique dans cette logique d’écosystème et d’attractivité pour les industriels ?
Sébastien Martin : C’est une fonction indispensable. Les intercommunalités doivent travailler avec les industriels pour identifier le plus tôt possible leurs besoins logistiques et ensuite planifier l’implantation de cette activité au mieux afin qu’elle s’articule parfaitement. C’est une condition sine qua non pour un fonctionnement pérenne d’une implantation industrielle.