Secours Populaire, Label Emmaüs : comment les acteurs de la solidarité relèvent le défi de la logistique
Distribution en “libre-service de la solidarité” par le Secours Populaire, ventes de livres et meubles de seconde main sur Internet par Label Emmaüs… Pour augmenter l’impact de leur mission d’intérêt général, les associations et organisations à vocation sociale s’appuient sur une logistique bien organisée. Analyse.
La logistique est une composante fondamentale et prioritaire des associations, ONG et organisations à vocation sociale. On pense immédiatement à la logistique humanitaire. Médecins Sans Frontières (MSF), l’ONG d’intervention d’urgence qui célèbre son cinquantième anniversaire en 2021, a créé en 1986 l’antenne MSF Logistique pour prendre en charge l’achat et le pré-stockage du matériel d’intervention. Deux centrales d’achat et de distribution de l’organisation existent - en France, l’entrepôt est basé dans l’agglomération bordelaise. L’association a largement professionnalisé ses capacités logistiques, en conservant sa capacité à trouver des solutions adaptées aux spécificités de ses activités et des populations qu’elle accompagne.
On retrouve cette même raison d’être à vocation sociale au sein du Secours Populaire. Christian Causse est le directeur de la logistique de cette ONG décentralisée « généraliste de la solidarité », il témoigne : « La gestion de la solidarité n’est pas simplement l’action de mettre une boîte de conserve dans un caddie. Celle-ci doit être stockée, transportée, distribuée. La logistique constitue la pierre angulaire de notre activité, surtout quand on veut donner dans de bonnes conditions, dans le respect de la personne. »
Du Secours Populaire à Label Emmaüs, deux visions de l’immobilier logistique
Cette logistique nécessite des lieux de stockage et de distribution. Au Secours Populaire, on joue entre ces enjeux de massification logistique d’une association nationale et le penchant vers une logistique adaptée à la raison d’être et aux valeurs de l’association (1 200 permanences d’accueil, qui chacune accompagne une centaine de familles par semaine en moyenne). Malgré une surface de 67 000 m² de stockage logistique, Christian Causse rappelle que « l’ONG n’a pas vocation à stocker, car on agit par rapport à des situations d’urgence. Nous avons un système de procédure pour faire une proposition en 72 heures afin d’absorber les dons, les répartir sur les territoires et garantir leur utilisation. »
Tant dans sa constitution que son activité ou ses objectifs, Label Emmaüs diffère du Secours Populaire, offrant en conséquence une autre vision de la logistique. Il s’agit d’une société coopérative d'intérêt collectif (labellisée ESUS) adhérente à la fédération Emmaüs France, comme 300 autres structures juridiques autonomes - Fondation Abbé Pierre, 120 communautés de compagnons, Emmaüs Solidarité... Les pôles d’activité créés par Label Emmaüs ? C’est Maud Sarda, sa fondatrice, qui en parle le mieux : « C’est d’abord une forme de prolongement en ligne du centre Emmaüs traditionnel grâce à la marketplace, tiers de confiance entre les 160 structures de l’ESS vendeuses et les acheteurs particuliers. Nous gérons ensuite deux entrepôts logistiques, l’un en Seine-Saint-Denis, l’autre dans le Lot-et-Garonne en 2021, qui contribuent à développer nos activités logistiques marchandes de livres et de meubles, avec l'insertion au cœur du modèle ». Et avec plus de 200 000 produits vendus depuis le début de l’année, le rôle de l’humain est central dans la réussite du projet.
Le challenge de la montée en compétences des opérateurs bénévoles ou en insertion
Pour chaque organisation inscrite sur la plateforme de commerce Label Emmaüs, ce sont 2 à 3 personnes qui sont mobilisées pour assurer la logistique. « La plupart sont des salariés en insertion ou des compagnons », détaille Maud Sarda. « On leur assure une activité formatrice et qualifiante pour monter en compétence sur ces métiers : choix des produits, réalisation des photos, rédaction des annonces, gestion des commandes, colisage et remise au transporteur ». D’autres compétences logistiques sont requises à l’entrepôt : la traçabilité des produits, la disponibilité des stocks, le colisage… Chez Emmaüs, il n’y a pas de code-barres donc pas de traçabilité à l’unité. Il y a donc des enjeux d’accompagnement et de formation des collaborateurs pour amener ces procédures de travail. « Nous avons même créé une école - Label École - qui forme gratuitement aux métiers du e-commerce, grâce à des partenariats avec des entreprises de la tech. »
Au sein des antennes locales du Secours Populaire, l’enjeu de la compétence se décline auprès des 87 000 bénévoles actifs de l’association. Christian Causse l’affirme : « La logistique est un métier. Donc le défi des moyens logistiques et des compétences au sein de l’association, même si elles sont bénévoles, est crucial. Nous devons accompagner cette formation des bénévoles de la manière la plus professionnelle possible avec l’acquisition de savoirs en termes de règles sanitaires, de coordination ou encore de gestion. »
La question de l’appui des professionnels de la logistique aux acteurs à vocation sociale
Pour faciliter et optimiser ces procédures logistiques, le Secours Populaire bénéficie de nombreuses expertises. « Les partenariats peuvent prendre la forme d’une analyse de la rentabilité de nos lieux logistiques ou d’une étude des aménagements possibles pour améliorer nos performances », détaille Christian Causse… « De grandes entreprises de la logistique mettent à notre disposition gracieusement des lieux, des moyens de transports ou du personnel pour former nos bénévoles. On essaye de mettre tous les moyens nécessaires pour consacrer un maximum de notre temps pour venir en aide aux gens et nous lançons un appel à la solidarité des acteurs de la logistique ! »
Un accompagnement qui laisse rêveuse Maud Sarda : « Notre format juridique ne nous rend pas éligible au mécénat. Or notre modèle économique est aussi fragile qu’il est fort socialement. Le transport représente 35 % de notre chiffre d’affaires, donc tout soutien représenterait un effet de levier formidable pour l’activité. Nous avons également une problématique d’immobilier logistique très forte, et cherchons à répliquer les bons modèles de nos deux entrepôts. »