Territoires

La logistique, un transformateur des territoires du Brésil à la France

21 déc. 2023
Lecture : 8 minutes

Dans le cadre du partenariat avec Abralog, association des acteurs de la logistique au Brésil, Afilog a organisé une délégation à Sao Paolo du 28 février au 3 mars 2023. Au programme : des visites d’entrepôts, des rencontres avec les acteurs locaux et une participation au salon Intermodal. Pedro Moreira, président d’Abralog, revient sur l’organisation de l’immobilier logistique au Brésil et croise son regard avec celui de Claude Samson, président d’Afilog.

Claude Samson et Pedro Moreira
Claude Samson, président d’AFILOG (à gauche), et Pedro Moreira, président d’Abralog (©D.R.)

Comment le maillage géographique des entrepôts situés en dehors des villes est-il organisé au Brésil ?

Pedro Moreira : Le marché immobilier brésilien poursuit son cycle de croissance, avec une augmentation de son parc de 17% en 2022, soit 23,2 millions de m2 supplémentaires. Le e-commerce a été le secteur qui le plus pris à bail sur la période.

Bien que ce dernier ait également été le facteur principal de l’expansion géographique vers d’autres régions de ce vaste pays (8,5M de km2), nous constatons aujourd’hui une concentration de l’activité dans la région du sud-est (États de São Paulo, Rio de Janeiro, Minas Gerais et Espírito Santo), laquelle représente 80% du parc, soit 18,4 millions de m2. Pour donner un ordre d’idée d’une telle concentration, l’État de São Paulo totalisait 12,8 millions de m2 fin 2022, soit 55% du stock brésilien d’entrepôts.

Une vaste partie des implantations d’entrepôts se situent à proximité des grandes villes et régions métropolitaines, comme São Paulo, et ce dans un rayon de 30 km autour de la capitale de l’État observé.  

Par ailleurs, les sites logistiques situés à proximité de ces aires métropolitaines – également connus sous le nom d’entrepôts du dernier kilomètre – affichent un taux de vacance à un chiffre. Même dans ces zones, il n’y a plus de surface disponible à la location. Au niveau national, le taux de vacance s’élevait à 11% fin 2022.

Nous observons une dynamique de montée en puissance des hubs logistiques dans les villes secondaires comme Campinas, Bauru et Ribeirão Preto, un phénomène qui contribue également à l'essor de cette décentralisation.

Claude Samson : Le taux de vacance du parc logistique brésilien ferait rêver tout acteur français et européen, à l’heure où en Europe il est tombé courant 2023 en dessous des 3%.

Nous traversons une période particulière marquée à la fois par une très faible disponibilité immédiate de surfaces, par une augmentation des loyers inédite et par un accès à la dette plus contraint. Les investissements sur le premier trimestre 2022 ont baissé de 75% par rapport à la même période de 2022.

La Dorsale historique Lille-Paris-Lyon-Marseille confirme son attrait pour les utilisateurs et investisseurs, mais certaines localisations secondaires (arc atlantique, Nouvelle Aquitaine …) sont également prisées car bénéficiant d’une dynamique démographique positive.

« Les opérations de logistique urbaine que nous avons pu visiter lors du déplacement à Sao Paulo répondent aux besoins des acteurs économiques , en intégrant les contraintes inhérentes au tissu urbain dense »
Claude Samson

Comment la logistique urbaine est-elle organisée dans les grandes villes brésiliennes comme São Paulo ?

Pedro Moreira : La logistique urbaine reste l’un de nos plus grands défis. L’expansion du e-commerce en a intensifié la complexité. La logistique urbaine dépend encore beaucoup des entrepôts, qui sont généralement de grandes tailles et situés à proximité des zones métropolitaines telles que São Paulo. L’absence de mini-hubs au sein de ces villes rend la logistique urbaine et ses délais de livraison encore plus complexes.

Nous pouvons néanmoins nous réjouir du fait que le secteur de l’immobilier s’emploie à accroître la disponibilité des mini-hubs dans ces grandes villes, en acquérant d’anciennes propriétés et usines, puis en les réaménageant et en les adaptant au stockage, au transbordement et aux opérations du dernier kilomètre.

Cette solution est efficace pour améliorer le modèle de logistique urbaine dans des villes comme São Paulo, qui présentent des facteurs aggravants tels qu’un trafic très complexe, des zones congestionnées, ainsi que des zones de restriction de la circulation pour les gros véhicules. Elle est aussi essentielle pour optimiser les flux, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour que la logistique du dernier kilomètre puisse être réalisée en vélo, tricycle, moto et camionnette.

Claude Samson : La logistique urbaine n’est pas une logistique à part, mais un maillon de la logistique globale. La confrontation avec le « fait urbain » et sa complexité a créé un marché avec des fondamentaux particuliers. Ce marché atteint sa maturité en France, preuve en sont les projets comme Chapelle Internationale, la Caserne de Reuilly, Air2 à Gennevilliers ou l’hôtel logistique du Port de Lyon Edouard Herriot, pour n’en citer que quelques uns.

Les opérations de logistique urbaine que nous avons pu visiter lors du déplacement à Sao Paulo, comme celui de Good Storage, nous ont impressionnées par leur capacité à répondre à une grande variété de besoins, depuis les messagers, les expressistes, jusqu’aux petits e-commerçants et aux activités de production ayant besoin de stockage urbain.

La question des zones à faibles émissions, lorsqu’elle sera clarifiée et appliquée, contribuera à structurer davantage le marché immobilier urbain. Il est important qu’une cohérence de contenu et de calendrier soit respectée car des acteurs qui se conforment à un calendrier de règles d’accès aux centres-villes remis en cause ultérieurement sont pénalisés.

« La reconversion des friches doit être gérée comme une priorité en termes de politiques publiques, d’aménagement du territoire et d’amélioration des mobilités au Brésil »
Pedro Moreira

Dans quelle mesure la logistique contribue-t-elle à la reconversion des friches au Brésil ?

Pedro Moreira : La logistique joue un rôle fondamental sur ces sites. Les dynamiques de marché sont à l’origine de processus logistiques d’une vitesse impressionnante. Aujourd’hui, c’est le consommateur qui est aux commandes. Les achats sont moins gros, plus fréquents, et les délais de livraison toujours plus réduits. En outre, le e-commerce continuera à se développer dans les années à venir, exigeant également des solutions plus agiles.

Naturellement, cette dynamique induit un besoin en stocks, plus proches des clients et des régions où ils vivent. Dans ce contexte, la reconversion des friches et des anciennes propriétés est mise en avant et constitue une solution organique. Nous observons déjà cette dynamique au Brésil. L’offre est encore faible, mais elle va gagner du terrain au cours des années à venir. Dans les environs des régions métropolitaines, nous identifions également des opportunités de reconversion même si nous y trouvons toujours du foncier disponible.

Nous devons optimiser les ressources, faire plus avec moins, et la reconversion des friches doit être gérée comme une priorité en termes de politiques publiques, d’aménagement du territoire et d’amélioration des mobilités.

Claude Samson : La logistique est réellement un « transformateur des territoires ». Nous avons une véritable capacité de conversion de terrains sous-utilisés ou à l’abandon, pour leur redonner une fonction essentielle, au service des populations et des entreprises.

Pour autant, les friches sont très inégalement réparties sur le territoire. Il y en a beaucoup dans des secteurs frappés par la désindustrialisation (la Seine Maritime, la Moselle), quasiment pas sur d’autres territoires. À cela s’ajoutent les critères de taille et de connexion aisée aux voies rapides. En réalité le potentiel de friches utilisables pour la logistique est limité, sans évoquer le souhait de collectivités de dédier les friches à des activités ressenties comme plus valorisantes, financièrement ou en termes d’image (logement, tertiaire).

Quelles sont les conditions de travail dans les entrepôts brésiliens ?

Pedro Moreira : La situation s’est beaucoup améliorée ces dernières années. La législation brésilienne du travail est bien structurée et doit être respectée. Nous n’avons pas constaté de décalages. Par ailleurs, nous constatons une meilleure compréhension des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance par les entreprises. Les organisations, y compris celles nationales, se préoccupent davantage de la qualité de vie des travailleurs, ainsi que de la sécurité, de l’inclusion, de la diversité, et portent attention aux aspects sociaux de la communauté dans laquelle elles opèrent. Il est important de souligner l’augmentation du nombre de femmes travaillant dans la logistique, non seulement au niveau de la direction mais aussi au niveau opérationnel.

Aujourd’hui, il n’y a plus de place pour les pratiques qui nuisent aux conditions de travail, tant dans les entrepôts brésiliens que dans d’autres secteurs. Il est important de noter que nous constatons un engagement croissant de la part des dirigeants qui s’alignent sur ce raisonnement. Bien sûr, il existe toujours des pistes d’amélioration. Elles doivent être poursuivies avec soin.

Claude Samson : Il faut en finir avec l’image, fausse, qui est parfois véhiculée sur les conditions de travail dans les entrepôts. Non, ce n’est pas Germinal ! Les logisticiens sont soumis à des réglementations très strictes du Code du Travail. Les acteurs impliqués dans les conceptions des entrepôts (architectes, promoteurs, propriétaires…) vont, avec le concours de leurs clients, au-delà des réglementations avec des salles de repos, services (salles de sport, tables de pique-nique…), des ouvertures permettant à lumière naturelle de rentrer, l’utilisation de matériaux nobles et naturels ou enfin les aménagements paysagers.

Nous avons chez Afilog à cœur de faire découvrir la vraie vie à l’intérieur des entrepôts au grand public. En 2021 et 2022 nous avons réalisé de grandes opérations portes ouvertes et en 2023 nous avons filmé avec des drones l’intérieur des entrepôts.

Quelles sont les perspectives de développement de l’immobilier logistique au Brésil et en Amérique du Sud pour les années à venir ?

Pedro Moreira : Le marché de l’immobilier a un énorme potentiel de croissance, au Brésil comme dans d’autres pays d’Amérique du Sud. En outre, ce segment n’a commencé à se professionnaliser qu’au cours des 20 dernières années. Il est encore très jeune. Il y a de la place pour davantage d’entreprises dans le secteur, qu’elles soient étrangères ou locales.

Selon les prévisions, le parc d’entrepôts devraient progresser de 11% en 2023 pour représenter 25,7 millions de m2. Nous estimons la taille potentielle du parc brésilienc à plus de 100 millions de m2. Si le sud-est concentre 80% du parc, des territoires de croissance sont identifiés dans les quatre autres régions du pays. Nous manquons néanmoins de biens immobiliers de classe A et A+.

Les ministres des Transports, des Ports et Aéroports qui ont participé à l’Intermodal Expo and Logistics Conference 2023 se sont engagés à bâtir une infrastructure plus solide. Ils sont également ouverts au dialogue. Dans notre pays, 60% des transports se font par la route. La logistique doit être conduite et exécutée avec une vision à long terme.

Nous devons poursuivre le développement des autres modes de transport, et mieux les intégrer dans les pratiques de multimodalité. Cela induit un besoin en plateformes logistiques, entrepôts et hubs qui intègrent ces modes. Aujourd’hui, cela n’existe pas dans notre pays. C'est donc une belle opportunité pour le secteur de l’immobilier.

Claude Samson : la question est bien plus difficile qu’il n’y paraît, tant les facteurs d’incertitude sont présents. L’évolution de la logistique dépend de la réalité des ambitions de réindustrialisation. Pour l’instant le foncier manque, pour l’industrie comme pour la logistique, sur fond de sobriété foncière, de réticence des territoires à accepter ces activités et de concurrence entre foncier économique et foncier résidentiel.

À cela se rajoutent les difficultés de recrutement. Les opérations qui sortent en ce moment sont celles qui ont été lancées avant le Covid. La production de bâtiments logistiques s’inscrit dans un cycle long, 3 à 5 ans, voire davantage. Le niveau d’étiage que nous connaissons en ce moment en termes de lancement d’opérations sera visible dans quelques années. Il est important que les conditions fiscales, foncières et réglementaires s’améliorent si on veut pouvoir répondre à la demande émanant des populations et des entreprises.

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