Pas d’industrie verte sans logistique : tout ce que le secteur apporte à l’économie et l’écologie
À quelques semaines des discussions parlementaires sur le projet de loi Industrie Verte, l’État ne cesse d’annoncer sa volonté de soutenir l’industrie en France. Or, sans logistique suffisante et bien localisée, comment les activités de production pourraient-elles se maintenir et se développer ? Analyse.
Pour le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, cela ne fait aucun doute : « les destins de la logistique et de l’industrie sont liés de façon inextricable ». Les annonces de plans et dispositifs d’action publique en faveur d’un maintien, voire d’un renforcement, des activités industrielles en France se sont multipliées ces dernières années : Plan France 2030, Territoires d’industrie, projets des Comités de filières du Conseil National de l’Industrie, projet de loi Industrie Verte… Et cela semble faire effet, puisque des sites industriels voient le jour chaque année en France comme celui de Siemens Gamesa dédié aux énergies renouvelables au Havre, l’usine à jeans de FashionCube à Neuville-en-Ferrain (Nord) ou encore celle de Smilers, filiale du groupe français Biotech Dental spécialisée dans les aligneurs dentaires, à Salon de Provence. Pour autant, ces activités de production ne pourraient exister sans des fonctions support fiables. Le transport et la logistique sont en effet indispensables aux activités industrielles, ne serait-ce que pour acheminer les matières premières et les composants dans les usines, et pour expédier les produits finis en France et à l’international.
Bien que le ministre de l’Industrie ait rappelé ce lien indéniable lors de la conférence inaugurale de la SITL, une autre table ronde, qui s’est déroulée quelques heures plus tard, a donné le sentiment que l’importance du secteur logistique dans la réindustrialisation du pays n’était pas reconnue. Selon Paulo Ferreira, vice-président d’Afilog et directeur associé affaires publiques de Virtuo Industrial Property, « le rôle de la logistique semble avoir été oubliée de tous : grand public, Etat, et industriels eux-mêmes ». Au fil des ans, ces derniers ont externalisé leur logistique pour se concentrer sur leur cœur de métier et c’est bien dans l’ordre des choses. La logistique s’est professionnalisée et est devenue une activité à part entière, complémentaire mais bien distincte. Lucile Audièvre, cheffe de projets de Logistique Seine Normandie estime quant à elle que la logistique, y compris industrielle, n’a pas été oubliée mais rejetée car « elle a été survendue en termes d’emplois créés, notamment par le secteur du e-commerce, et a donc fini par décevoir les collectivités, qui aujourd’hui n’en veulent plus ». Toutefois, les élus comme le grand public n’ont pas pris la mesure de l’évolution du secteur. Selon Olivier Poncelet, délégué général de l’Union TLF, « il y a un décalage entre la faible notoriété du secteur logistique, et son impact positif réel : il représente en effet 10 % du PIB national et près de 2 millions d’emplois ! ». Alors même qu’il contribue à seulement 1 % de l’artificialisation des sols.
Un facteur de compétitivité pour l’industrie
L’externalisation et la professionnalisation de la logistique permettent à l’industrie de se concentrer sur son cœur de métier, tout en optimisant ce maillon essentiel. « La logistique est un outil de compétitivité, rappelle Olivier Storch, directeur général adjoint de Ceva Logistics. Mais nous avons un problème de disponibilité du foncier en France » pour cette activité. Dans le même temps, la problématique d’espace rencontrée par la logistique est également celle de l’industrie. « J’ai en tête l’exemple de l’un de nos clients industriels, illustre Paulo Ferreira. Il voulait accroître son outil de production et sortir la logistique de son site en région Pays de la Loire. Cela n’a pas été possible par manque de foncier et de volonté de la part des élus locaux. La problématique actuelle de la logistique sera celle de l’industrie demain ».
Selon lui, alors que les fondamentaux de la mobilité des personnes ont été pensés au niveau national, celle des marchandises n’a pas été organisée par l’État. Même constat pour Lucile Audièvre, pour qui une stratégie globale prenant en compte le développement industriel et le développement logistique est indispensable. En ce sens, un travail sur un schéma de cohérence logistique régional sous l’égide de l’État et de la Région Normandie est en cours. « Quand on regarde en Belgique et aux Pays-Bas, les réserves foncières sont au pied des ports, prêts à accueillir des développements, abonde Jean-Olivier Lhuissier, directeur de négoce agricole chez Vivescia, groupe coopératif agricole et agroalimentaire. Une réflexion globale doit être menée en France ».
Pour se faire accepter, des élus et de la population, la logistique a pourtant depuis longtemps entamé sa mue : des panneaux solaires sur les toits des entrepôts, des LED pour diminuer la consommation énergétique, insertion paysagère travaillée, des bâtiments réversibles… « On est loin de la boîte à chaussures moche, qui crée des nuisances au milieu des champs !, souligne Olivier Storch. La logistique va de plus jouer un rôle fondamental dans la décarbonation de notre économie du fait de la généralisation de l’économie circulaire : il faudra réacheminer les marchandises dans les entrepôts pour les réparer ou les recycler ».
Pas d’industrie verte sans logistique
En matière de sobriété énergétique, la logistique fait donc non seulement figure de bonne élève mais appuie les démarches environnementales des entreprises... quand on lui en laisse la possibilité. Pour l’industriel Vivescia, le manque de stratégie nationale en matière de logistique a un impact direct sur l’empreinte carbone de ses flux. « En France, si vous voulez être référencé chez certains distributeurs, il faut avoir bilan carbone favorable, explique Jean-Oliver Lhuissier. Nous cherchons donc à privilégier le transport maritime et ferroviaire. Mais alors que nous pouvions avoir 40 points de chargement de train complet auparavant, nous n’en avons que 16 aujourd’hui. Et dans ce cas, c’est la route qui prend le relai... ».
Outre le développement d’un réseau fluvial et ferroviaire pertinent, le nerf de la galère reste le foncier. « Il faut permettre à la logistique de s’implanter là où elle peut et où elle veut, recommande Paulo Ferreira. En faisant ce choix, le maillage sera optimisé et permettra donc de réduire l’impact environnemental des flux de marchandises. Mais aujourd’hui, le taux de vacance des entrepôts prime n’est que de 3 %… autant dire que nous sommes déjà en pénurie ». De quoi freiner la réindustrialisation verte de la France. La loi Industrie Verte saura-t-elle réduire cette distance entre les annonces pro industrie et la réalité ?